Le pressoir abandonné.

Très longtemps, elle a sautillé devant moi. A deux mètres seulement. Elle avait repéré un filon de vermisseaux dans l’herbe un peu fraîche du matin, encore dégoulinante de rosée de la nuit.

Elle piochait, puis le bec grand-ouvert elle gobait, avalait un lombric tout rouge qui disparaissait dans son entonnoir. Entier, goulument. Des petits pas prestes, légers, à peine aériens, de ballerine. Un, deux, trois pas follets, sans direction précise, un coup à droite, un coup à gauche, jamais en arrière, jamais droit devant, l’œil vif faisait mouche à chaque fois. Pim ! Un coup de pioche, un coup de pince, levait le bec au ciel, engloutissait une nouvelle friandise. Parfois, elle me jetait un regard furtif, même pas effarouchée par ma présence si proche, trop occupée à faire bombance. En lorgnant vers moi, elle semblait hausser ses ailes comme on hausse les épaules. Pouf ! Elle n’en avait rien à faire, toute à son affaire. L’endroit était giboyeux, le paradis des vers de terre. Savez-vous pourquoi ? Une résurgence de tout à l’égout, les annélides prospèrent là, c’est leur prairie et notre passereau ne veut pas quitter ce jardin qui regorge de riche nourriture.

Arrivée au bout du mur, frrrrrrt, elle s’est envolée frôlant les herbes. Un vol en rase mottes, un peu mollasson. Pouf ! Elle a sorti son train d’atterrissage et dans un balancement souple s’est posée au milieu d’un petit champ de fleurs.

Etonnée, elle a jeté un regard panoramique pour contempler ces taches rosées qui parsèment l’herbe bien verte. C’est ça le Paradis ? s’interrogeait-elle. C’est le jardin d’Eden ? Elle paraissait émerveillée, ne traquait plus le ver, sans doute rassasiée.

Non ! Non ! Grive musicienne ! Ce n’est pas le paradis, nous sommes en automne, c’est la saison des cyclamens de Naples. Regarde, le vieux pressoir, aujourd’hui désert. Les fleurs sont sorties et lui font la fête pour qu’il soit moins triste. Il est à l’abandon depuis belle lurette, au printemps les pâquerettes, à l’automne les cyclamens, le merle et puis la grive, lui chantent une chanson…

J’étais parti au point du jour pour un vagabondage matinal. Devant moi, a Tasciana me faisait un clin d’œil en se prenant pour le Fuji-Yama.

2 Comments

  1. Sûr que le paradis est dans votre coin, la petite grive le sait bien. Jolie complicité avec la nature, on devine des heures de contemplation et de rêveries…

    1. Je pense, aussi, être capable de m’inventer un paradis partout où je vais, je crois qu’il séjourne dans ma tête.
      Je ne l’abandonnerai pas si facilement. 🙂

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