Quand l’envie va, comme pour le bâtiment, tout va.
Pour les plus jeunes qui ne connaitraient pas l’expression, il s’agit d’une phrase déclarée à l’Assemblée Nationale par le député de la Creuse Martin Nadaud (1815-1898) : « Vous le savez, à Paris, lorsque le bâtiment va, tout profite à son activité. » Les journalistes ont vite fait le raccourci suivant : « Quand le bâtiment va, tout va. »
Ce matin, j’avais envie donc. Envie de faire des tomates farcies pour moi tout seul comme si on était trois à déjeuner. Mon four a rendu l’âme après vingt années de bons services. Pas de panique, l’envie est là et donc tout va.
C’était l’occasion de tenter une petite expérience, cuire mes farcis dans un faitout, à l’étouffée d’abord, pour assurer la cuisson, puis à découvert et à feu vif pour faire évaporer l’excédent d’eau de végétation. Il n’y a pas de raison pour que ça foire. J’imaginais que le résultat final serait plus moelleux, moins sec qu’au four. Eh bien, on va essayer !
Un filet d’huile d’olive dans le fond du faitout, puis toute la pulpe des pyros (variété de tomate, idéale pour farcir). J’ai déposé des tranchettes de pommes de terre pour absorber le liquide, du sel du poivre et des débris de chorizo. C’est une idée qui m’est venue comme ça, le chorizo avait envie de faire partie de la fête, aussi. J’ai éparpillé pas mal de persillade par-dessus tout ce mélange. J’ai rangé mes tomates farcies en suivant le pourtour de l’ustensile comme pour une conférence tomateuse. Ça papote des tomates lorsqu’elles sont rassemblées, elles poupoutent durant toute la cuisson. Vous ne saviez pas ?
J’ai vu un poivron tristounet, moitié vert, moitié rouge qui ne savait pas sur quelle couleur danser, alors je l’ai jouté, coupé en morceaux, il jettera son arôme, ça ne sera pas plus mal.
Enfin, pour faire un peu plus joyeux, j’ai posé des casquettes penchées sur le côté et non des chapeaux sur les farces pour donner un air davantage Titi que notable. Tout ce monde joyeux a frémi de plaisir en se demandant ce que ce mijotage allait produire.
Dès les premiers frémissements, une odeur de légumes frais, un mélange de tomate d’ail, et de poivron, s’était marié. Un fumet à l’ancienne comme à la campagne ou dans la cuisine de grand-mère. Des arômes frais bien que chauds m’avaient transporté dans un autre âge. J’étais redevenu un enfant au fond de la Navaggia lorsque les odeurs de cuisine s’échappaient des maisons : « Tiens ! Zia Maria Antonia fait griller un poulet dans sa cheminée, ça doit être un dimanche. » « Pou ! Une forte odeur de fenouil s’évade de la cuisine voisine. Les châtaignes seront parfumées, i buttacioli cocini ! (Les châtaignes cuisent)
On aurait dit un match de cuisinières. Sans le savoir, toutes affichaient leur menu du jour, trahi par les parfums évadés à travers portes et fenêtres pour embaumer tout le quartier. Des odeurs qui chatouillaient les narines, flottant à hauteur d’homme comme si elles connaissaient le siège du sens de l’olfaction.
Vous avez vu ce que l’envie engendre ? Le plaisir. Le plaisir de dire, de raconter le meilleur des choses… Elle cultive les sensations, en exprime toutes les nuances, elle nous souffle la vie.
La vie chante aussi en sortant d’une casserole ! C’est vous dire la force de l’envie !