Rien n’est certain, j’imagine le bonheur de vivre dans cet endroit paisible où tout semble naître de la terre.
Ces clichés ne datent pas d’aujourd’hui, ils ont pris de l’âge, quatre ans, je crois.
Je courais les hameaux environnants situés hors de la départementale, en quête d’images sans fixer de thème préalable.
Je déambulais et mes idées venaient du hasard.
Je m’étais arrêté devant ce jardin.
Assis sur le bord du chemin, un peu à l’écart, je rêvais.
J’imaginais les récoltes, j’imaginais l’hiver dans ces endroits déserts que l’on croit peuplés en découvrant les potagers.
Personne, je n’ai rencontré personne.
J’ai deviné un mouvement derrière un roncier.
Un homme penchait la tête tantôt à gauche, tantôt à droite pour mieux m’observer.
Il m’a pris pour un touriste. Un appareil photo en main, ça ne peut être quelqu’un d’ici, c’est quelqu’un venu d’ailleurs, de très loin…
Je me suis approché, j’ai reconnu Jean Camille.
Nous étions dans la même école, pas dans la même classe, quelques décennies plus tôt.
Il avait gardé les mêmes traits sur son visage vieilli.
Jean Camille, on ne l’oublie pas. Le maître s’était juré de corriger son défaut d’articulation, une incapacité à prononcer le « C = K ».
Inlassablement, il lui faisait répéter « Le coq chante cocorico ! » et notre camarade répondait invariablement « Le tot chante totoroto ! » Excédé, il finissait toujours par lâcher « Tata ! » qui signifie merde en corse et se dit « caca ! »
Comment voulez-vous oublier cela !
Lorsque je l’ai appelé par son prénom, il a semblé rassuré mais doutait fortement encore. Il est sorti de sa cachette, m’a regardé en braquant son œil droit sur moi, puis le gauche, puis pleins phares. Il ne me reconnaissait toujours pas, mon visage, ma voix ne lui disaient rien.
Il a semblé totalement soulagé lorsque je lui ai décliné mon identité.
A ce moment là, il a souri.
Peut-être n’est-il pas tranquille dans cet endroit isolé ? La parabole est sur le toit, il doit être au courant que les hommes sont devenus fous et qu’il vaut mieux rester sur ses gardes. Son jardin est beau et prospère. Il était fier lorsque je l’ai félicité. C’est ainsi que les gens vivent dans ces coins perdus où les copains d’Hippocrate ne mettent plus les pieds.
Jean Camille ne se plaint pas mais semble désabusé.
Ici, on vit et on meurt tranquille…
Ici, on vit caché pour protéger son bonheur ou alors, on ne sait pas. On ne sait pas ce qu’est le bonheur, ni vivre heureux. On vit, on vit en meublant les jours. Durant les longues nuits d’hiver, devant la cheminée, l’esprit s’évade, on fixe le tison, la flamme devenue molle, la gerbe soudaine d’étincelles, le charbon ardent qui s’effondre puis s’effrite. On repousse la cendre, on secoue le trépied, on pousse une bûche pour activer le feu. On se souvient de grand-mère, de grand-père à la même place sur le petit banc. L’une farfouille dans la braise avec le tisonnier, l’autre ravive l’âtre en actionnant le soufflet. C’est la même vie que celle de naguère, mais seul dans la nuit, seul dans la chaumière devenue maison plus confortable.
Le matin d’hiver est frisquet, le feu s’est endormi, il faut le réveiller aussi. L’emploi du temps est établi de longue date et se déroule machinalement. Un café corsé, on s’ébroue dans la bassine pour vivifier le visage, il est temps de s’activer un peu partout, à la maison, dans la cour, le jardin, les poules attendent. Il faut accompagner les minutes pour qu’elles ne paraissent des heures…
Les gens heureux ne parlent jamais du bonheur.
Le bonheur n’existe pas parce qu’on le tait.
Les gens heureux ne savent pas, ils évitent de réveiller les vieux démons.
Ici, on ne disserte pas sur le bonheur, on le vit en silence et on dit qu’on ne sait pas.
On ne le dérange pas, il est à la cave, il est au grenier, il est au jardin, au four et au moulin… devant la cheminée aussi.
Les gens heureux sont loin du brouhaha et des tribulations nationales, loin des homards, loin des enquêtes incessantes pour démêler le vrai du faux, loin des palabres interminables sur la conduite des choses sociales, tantôt à hue, tantôt à dia et jamais résolues de manière satisfaisante pour tous…
Ils ont une lucarne pour imaginer ce qui se passe ailleurs mais ne le vivent point.
Ils sont loin de tout, le bonheur peut dormir tranquille.
Ici, on ne court pas après le bonheur, il n’est jamais pressé de filer, on l’oublie, il se love dans un coin obscur, il dort… On est heureux sans le savoir.
A reblogué ceci sur Les choses de la vieet a ajouté:
Je viens de retrouver ce texte, je vous le propose.
Le bonheur rentre chez moi de bon matin n vous lisant et devant ces jardins qui disent l’harmonie et la plénitude. Le bonheur tranquille passe à travers l’écran, merci Simonu.
Ce matin, nouveau petit bonheur.
J’ai vu merlette en train de reconstruire son nid ailleurs.
Le chat haret avait croqué ses petits presque emplumés.
Il y a du brouillard et mes photos sont floues.
Cruelle nature, j’espère qu’elle a trouvé un abri sûr. Hier j’ai vu une corneille s’attaquer à un pigeon tout jeune, elle l’a bouffé vivant et ensuite un goéland a fini les restes.
Dans les seringats qui sont aussi bas.
Les merles ont toujours construit le nid dans les buissons et arbustes, c’est la présence et le nombre anormal de chats redevenus sauvages qui pose problème. Il y en a partout, abandonnés, devenus harets pour le moins.
Les oiseaux se raréfient, j’en vois moins alors que l’endroit était « oiseauyeux ».
Quelques nichées détruites et ça fait beaucoup d’absences…