Je n’ai pas eu le temps de photographier la réprimande de la Sussex, la blanche. Elle avait étiré son aile pour me montrer le désastre. Quel désastre ?
J’avais acheté à la « va vite » de la chair à tomate au supermarché le plus proche. De la farce compacte qui se tranche net et qui sent l’acide, le vinaigre. Plus de 50% de gras visuellement, il n’y a pas d’étiquette de composition puisque c’est vendu en vrac. On aurait dit un mélange plastifié, on se demande comment ils font pour réaliser de telles saloperies destinées au cochon de client. Ce n’est pas bien d’arnaquer ainsi celui qui vous fait vivre et alimente grassement votre compte en banque. Peut-on encore faire confiance à ces « trompe le monde » ? Ce n’est pas bien ! Je le répète. N’y a-t-il aucun moyen de bien faire les choses ? Proprement, dans les règles de l’art ? Ah ! Peut-être mais c’est plus cher et plus difficile à vendre avec l’incontournable et conséquente marge de profit ! Pas bien, pas bien ! Cette « farce et attrape » est immangeable !
J’avais eu la mauvaise idée de faire cuire cette mixture infame pour les poules. Je pensais qu’elles allaient se jeter dessus pour étancher leur besoin en protéines animales. « Ça va pas la tête, Coco ! » semblaient caqueter les poules, de concert. Elles se sont jetées sur les débris de poisson frais, du cabillaud poché que j’avais proposé à midi avec une bonne sauce tartare. Une mayonnaise maison avec le jaune d’œuf d’une de mes poules, de l’échalote, du cerfeuil, de l’estragon, des cornichons et des câpres hachés, c’était bon. Là, les gélines n’ont rien partagé. C’était comme à la Saint Laurent, on jette des pièces de monnaie et les enfants plongent dessus. Pareil ! Elles ont fait pareil !
Toutes secouaient la tête en boudant le morceau de farce. Elles savent, elles. Pourtant elles sont toutes jeunettes et n’ont jamais fait de stage en boucherie pour détecter les arnaques. De l’instinct pur et simple. Pouah ! Mà fighjuletti qui ! Mà fighjola ! (Regardez-moi ça ! Mais regarde !) Comme je vous comprends !

Quoi ? Toi aussi tu voulais nous arnaquer en proposant ta farce infecte ? M’infligea la Harco, la plus noire des deux, dans une colère de la même teinte.
« Et dire qu’on se décarcasse par ces temps de canicule pour te fournir en œufs frais ! » Me lança la grise.
« Toi, tais-toi ! Lui répondis-je. « Tu ne ponds que quand l’œuf te pèse, le plus souvent tu glandes, tu picores et oublies de pondre ! En plus, le soir tu fais ta comédie en entrant la dernière dans le poulailler, bien longtemps après les autres, alors camembert !»
Bon, je n’ai pas insisté, j’ai fait ma récolte et je suis parti, content comme un vieux Baptiste. Je ne culpabilisais pas, car d’ordinaire, je suis très attentif et leur réserve le meilleur. J’ai tenté le coup. Peut-être qu’elles aiment ? me disais-je. Mais avec cette chaleur leur proposer tant de gras, j’avoue que je n’ai pas trop réfléchi, j’ai voulu rentabiliser mon achat, ma bêtise.

Quand on fait une bourde, on assume, on ne fourgue pas sa bêtise aux autres. Fussent des poules. Il faut respecter qui pédale dans la poussière et qui caquette tous les matins en vous saluant avant le lever du soleil. La vie c’est le respect de tous et je n’ai aucune honte à dire cela.
Un Simon vieillissant est un Simon amusant ! Les poulettes ont essayé de me taper sur l’épaule de leur aile trop courte pour me rassurer. J’ai compris au « Coooococsico ! » de l’une d’elles, qu’elle se moquait de moi (J’imagine qu’elle parodiait le Mexico de Luis Mariano)
En filant vers la maison, j’ai entendu en langage gallinesque : « Mi a si pida mali ! » (Tu as vu, Il est vexé !)
Voilà pourquoi je ne m’ennuie jamais dans ma vie de vieux Robinson.
La vie à la campagne c’est la vie de manoir pas de château.
Ce soir, je retourne au poulailler !