Un comportementaliste à la basse-cour.

La psychologie fut ma formation initiale à l’université. Je ne l’ai pratiquée qu’en deuxième intention, c’est-à-dire en filigrane dans mes actions comme une seconde nature, jamais en tant que psychologue. D’ailleurs, j’ai pas mal charrié cliniciens et systémiques avec lesquels je fis longue carrière.
Faut-il croire que tout arrive à qui sait attendre ? Je n’attendais rien, je profite de l’occasion pour sortir l’expression en promenade car mon nouveau job m’est tombé dessus sans crier gare.

Une sortie précipitée.

Je suis devenu responsable en chef du poulailler. C’est-à-dire que je nourris les poules, leur sert à boire, pas d’alcool bien entendu mais de l’eau du robinet et tous les trois jours, je deviens technicien de surface. Je nettoie la petite cabane presque de fond en comble. J’ouvre la petite porte basculante le matin très tôt en tirant la chevillette et la ferme à la tombée de la nuit. Voilà, c’est le gros de mon travail avec la récolte d’herbe fraîche car les poulettes ont déjà tout ratiboisé dans l’enclos. On se croirait sur la lune, seules les giroflées ont été épargnées. A tous les repas, je me surprends à émietter du pain, couper menu de la croute de fromage, des épluchures de fruits et à rassembler tout ce qui peut intéresser le gosier d’une poule. Ah ! J’allais oublier, je visite deux ou trois fois le pondoir dans la journée et je ratisse pour rendre la place plus propre. C’est mon travail quotidien en plus du jardinage et de la cuisine si je ne suis pas parti en chasse aux images. C’est ce qu’on appelle la retraite. Se retirer de la vie active c’est plonger dans une autre vie active en se compliquant l’existence, souvent, au lieu de se la couler douce. Par temps de pluie intense, par exemple, ce petit manège n’est pas une partie de plaisir et en période de lumbago, n’en parlons pas, dévaler les marches qui conduisent au poulailler, et les remonter, devient un chemin de croix même en dehors de la période pascale.

Tremble carcasse !

Par la force des choses, afin de mieux conduire ma mission nouvelle, j’ai dû réviser mes chères études pour comprendre le monde des volailles. N’allez pas croire que c’est facile, que ça tombe sous les sens, non, il faut bien observer et bien écouter. Par exemple, Neige, la Sussex blanche, est une enquiquineuse de première classe. Elle passe devant vous, le bec haut, l’œil scrutateur et se prend pour un coq. Que la limousine grise perlée lui passe devant pour becqueter un bout de pain, et pan ! Elle la pique, la sermonne en hérissant sa collerette injectée de noir. Il faut la voir, sûre d’elle, l’orgueilleuse ! La grisette qui en impose, plus massive que les autres pourtant, file se réfugier dans un coin. Elle fait mine de picorer à l’écart et se rapproche de l’endroit de pique-nique en se faisant discrète. Le calme revient, c’est la paix dans la basse-cour jusqu’au prochain repas. Les deux Harco qui, comme la grise n’ont pas encore de nom, semblent insouciantes. Elles s’en fichent et ne se mêlent jamais à une bagarre, elles n’arrêtent pas de chasser le grain de blé ou de maïs tant qu’il y en a, comme dirait Renaud. Friandise, la rousse, préférée de Francesca, est très indépendante aussi. Elle ne s’occupe jamais des autres. Elle tourne autour du poulailler et creuse à tout va. Il faut se méfier de ses caprices. Dès le premier jour, elle avait repéré le composteur noir resté vide. Elle l’avait squatté et « cotcotcodait » très fort dès qu’une autre se présentait à l’entrée. Je l’entendais qui rassemblait les feuilles sèches du figuier pour en faire un nid et sans doute installer ici son pondoir. J’ai condamné provisoirement cet abri précieux en cas de pluie, pour qu’elle s’habitue au pondoir communautaire. C’est chose faite, bientôt j’ouvrirai la nouvelle dépendance. Figurez-vous que je me suis aperçu, ce matin seulement, qu’elle avait pondu là son premier œuf.

Dès potron-minet, lorsque je prépare la nourriture avant l’ouverture de la cabane, je les entends grommeler, rouspéter, marmonner, elles sont pressées de sortir. Il y en a une qui m’agresse à travers l’aération en m’adressant des noms d’oiseaux. Je le devine à ses intonations. Un jour, j’ai compris à ses trois « cot, cot,cot » suivis d’un « deeeec » très long et inhabituel, qu’elle me traitait comme disent les jeunes écoliers à la récré. De quoi ? Je n’en sais rien mais elle m’en veut de tarder à ouvrir, elle a compris que je prends mon temps…

La responsable…

Hier soir, je suis descendu juste entre chien et loup. Le jour tirait sa révérence, le soir s’installait. La rousse était encore en vadrouille et vint vers moi au pas de course, on aurait dit qu’elle m’attendait. Les autres déjà dans le poulailler, étiraient leur cou vers l’extérieur pour voir ce qui se passait. En deux secondes, elles étaient toutes dehors à mes pieds. Que voulaient-elles en me tirant presque par le bas du pantalon ? Je n’ai pas tardé à comprendre, elles avaient soif. La plus noire des Harco a la fâcheuse habitude de poser une patte sur le bord du récipient, elle avait renversé la cocotte qui sert d’abreuvoir. Je me doutais qu’elle allait faire cette bêtise un jour ou l’autre. J’ai donc porté de l’eau. Elles ont bu longuement en étirant le cou vers le ciel déjà étoilé. Je crois même que Friandise s’est attardée à regarder la Grande Ourse qui commençait à scintiller. Boire la nuit, ça oblige à découvrir les étoiles… Bien désaltérées, sans que je n’esquisse le moindre geste pour leur indiquer le chemin du perchoir, elles se sont suivies à la queue leu leu et sont rentrées dans le poulailler sans faire de chichis.

Je crois que Friandise, très surprise par la découverte de la voute céleste, a rêvé de galaxies cette nuit-là. Comme moi, souvent.

Il ne me reste plus qu’à passer mon diplôme d’éthologue*, je ne suis plus très loin d’être thésard*, jamais taiseux… J’aime bien m’épancher sur les moindres petites choses de la vie loin du brouhaha des villes.

Me voilà monté en grade : Comportementaliste au poulailler !

*Ethologue=Scientifique qui étudie le comportement des animaux dans leur milieu naturel.
*Thésard=Candidat au doctorat qui prépare une thèse.

Répétition. Les gélines préparent une chorégraphie pour les fêtes pascales.
(Cliquez sur les images)

 

 

 

 

La grise perlée, souffre douleur.

1 Comments

  1. Je me suis régalée, tant cette description détaillée permettait une mise en scène instantanée….
    tu as su , avec brio, interpréter leur code de déontologie…..
    Ce fut un vrai plaisir.

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