Comme son nom l’indique, un effet de surprise ne s’annonce pas. Il surgit au moment où on s’y attend le moins. Ce n’est pas le cas pour le poisson d’avril. Il y a surpêche ce jour-là, plus personne ne mord à l’hameçon. Il est même très étonnant que cette affaire perdure. Les medias ne savent plus quoi inventer et chose surprenante, les plus méfiants prennent pour poisson l’info vraie du jour qui parait un tantinet abracadabrante. On voit des fake news partout. On s’emmêle les cannes et les moulinets, les fils s’entortillent, on ne ramène rien, on ne sait plus quoi penser. Donner une tape amicale dans le dos ce jour-là, provoque inévitablement le réflexe premier avril. On ne fait plus confiance à personne, on se contorsionne pour vérifier si l’on n’a pas une sole collée sur l’échine. Seuls les distraits ou les éternels sensibles à la tape amicale se laissent encore attraper. Quelques secondes seulement car très vite les regards suspects, genre anguille sous roche, les alertent.
Le plus étonnant, donc, est que cela perdure alors qu’il faudrait endormir, voire anesthésier l’accoutumance pour espérer réaliser belle pêche, réussir son poisson avril. Incorrigible, on redouble d’imagination, on invente l’info la plus extravagante possible avec le plus grand sérieux en espérant renverser la méfiance : « C’est tellement gros que cela ne peut être un poisson ». Il y a quelques années, dans un media régional, j’avais narré l’histoire, photo à l’appui, de deux lézards qui ne se quittaient jamais. Ils apparaissaient toujours côte à côte sur une vieille muraille comme Dupond et Dupont. Si l’un filait à gauche l’autre plongeait instantanément à bâbord. Un erpétologiste (spécialiste des reptiles) en vacances dans la région avait été alerté. Avant le retour chez lui, il avait capturé les deux individus pour les observer et analyser leur patrimoine génétique dans son laboratoire lyonnais. Il conclut à la gémellité parfaite jamais observée dans la nature jusque-là. Les deux compères étaient relâchés au même endroit. Il pensait que si l’un venait à disparaître, l’autre ne survivrait pas. Bref, j’avais bien emmailloté la chose mais comme c’était jour de poisson, quelques commentaires avisés mirent très vite la puce à l’oreille de ceux qui avaient mordu à l’hameçon. Si ce n’est vous, le voisin vous alertera. Le poisson d’avril c’est cuit, c’est fariné, c’est frit.
Pour re-argenter les écailles, voire les redorer, le mieux serait de faire l’impasse durant plusieurs années. Ne plus en faire une constante annuelle. Inventer le poisson aléatoire. Pourquoi ne pas passer le relais à un autre mois ? Le poisson d’octobre par exemple ? Lui trouver un autre nom, un joli nom. La girelle d’octobre ! C’est joli une girelle avec ses reflets bleutés !
Notre ami Mario, berger de son état, disait toujours lorsqu’il était à bout d’arguments ou de solution : « Laissons courir le poisson dans l’eau ! » et passait instantanément à autre chose. C’est ce que je vais faire ici.
Ce matin, je regardais le paysage. L’air était sec et l’herbe rase. Il y a bien quelques fleurs mais on a l’impression que les coquelicots seront rares cette année et les pois de senteur peut-être, aussi. Le trèfle est tristounet, l’herbe à Robert (géranium sauvage) et l’anémone des Apennins ne sont pas sûres de sortir ou alors timidement et en vitesse. On sent que ça n’ira pas fort si la pluie annoncée pour cette semaine continue à bouder les étendues sauvages. La terre n’en peut plus. Tout est sec.
Non loin de la maison, le genêt fait des efforts mais reste bas. Les pervenches ont escaladé le talus et montrent lassitude. A l’ombre, le mouron rouge accompagné par la véronique semble plus prospère que le mouron bleu cette année.
Hum ! L’année sera rude au jardin. Mes semis de tomates peinent à se développer sainement, les pommes de terre sont sorties mais semblent freiner de toutes racines. Les petits pois et les fèves grisaillent, rendent l’âme. Sans eau dans le bassin, je serai sans doute obligé de faire l’impasse potagère.
Le laiteron (famille du pissenlit) dresse ses boutons vers le ciel, la bouche ouverte à se décrocher les pétales pour choper les premières gouttes tant attendues… ce n’est point un poisson d’avril mais bel et bien la triste réalité.