De l’oeuf de coq à u fasgiolu bulidatu.

Généralement, on se questionne sans succès : Qui de l’œuf ou de la poule se trouve à l’origine du gallinacée ? Ce matin, je suis tombé sur un œuf de coq et tout naturellement celui-ci me conduisit à passer, plus facilement, du coq à l’âne. Une affaire abracadabrantesque pensez-vous ? Que nenni, cette découverte affole l’esprit et tout lui est permis…

Un œuf de coq, cela vous semble farfelu et pourtant c’est ainsi que l’on nomme ce petit œuf que vous voyez sur l’image. Il ne dépasse guère les quatre centimètres de long et n’a pas de jaune. Cette entité lilliputienne ne renferme que du blanc. Un vrai mystère lorsqu’on le découvre pour la première fois à côté des autres, pas très gros non plus, puisque les poules sont jeunes débutantes dans la ponte. Ça ira mieux dans quelques mois.

L’œuf de coq est une curiosité qu’on ne voit jamais si l’on ne possède un poulailler. Le cahier des charges ne permet pas de commercialiser ce produit qui reste ignoré du consommateur lambda. Il est tellement petit qu’on en fait rapidement le tour. Pur coco accidentel de poulette pubère, il se fera rare à mesure que cette dernière prendra de l’âge.

Si j’étais superstitieux, je dirais que cette découverte inattendue a détourné mes neurones pour qu’ils bifurquent vers un coq à l’âne étonnant. En remontant à la maison, tête basse, avec mon œuf dans la main, j’ai pensé à « u fasgiolu » juste au moment où je passais devant l’emplacement que j’ai réservé pour les haricots, fin avril ou début mai. Illico, j’ai fait un bond au cœur de mon enfance. Je n’ai pas besoin d’un œuf grigri pour digresser, je suis coutumier du fait. Vous avez raison de le penser, mon écriture adore le saut et la gambade.

Tout un vocabulaire, aujourd’hui tombé dans l’oubli, m’est revenu à l’esprit. Pour vivre et perdurer, le vocable a besoin d’usage quotidien et d’ouvrage, de labeur, d’un vivier en quelque sorte. Plus grand monde ne plante de haricots à rames. Les tuteurs doivent dépasser les trois mètres de haut, ils ne courent pas les chemins. Je me suis souvenu d’un verbe dont l’usage s’est perdu depuis fort longtemps : Appiculà. Il n’y a pas d’équivalent en français pour le traduire, il faut le définir pour en comprendre le sens. Appiculà signifiait diriger les jeunes pousses sorties de terre vers le tuteur afin que la plante ne se développe en rampant. On entortillait les tiges naissantes autour de la rame pour qu’elle exprime son caractère volubile vers le soleil. C’est joli « appiculà », vous ne trouvez pas ?

On entend encore parler di fasgiolu camponu (haricot Soisson). Il a la vie dure. C’est un maous costaud, un haricot majuscule, chippendale même, qui a toujours la cote dans les cuisines de nos contrées. U fasgiolu carbinesu, le carbinais=de Carbini, village voisin, on n’en entend presque plus parler. Du genre à sgranidà (à écosser), il présente un fond ivoire rayé de zébrures tremblotantes bordeaux ou rose soutenu, un’ fasgiolu palaghjolu (haricot à rames. Palu=tuteur, rame)…

J’ai fait une longue halte, le visage tourné vers la vallée d’Archigna pour me souvenir d’une anecdote. J’avais entre dix et douze ans. Chaque année, mon père récoltait des quantités importantes de haricots. Nous entreposions des sacs de dix à vingt kilos de grains secs pour la consommation hivernale, dans la partie basse d’une armoire. Parfois, nous faisions du troc contre des bols d’huile d’olive, du sucre ou du café. Aucun souci, des règles tacites s’étaient installées pour permettre cet échange sans parler du sou. Hélas, certaines années, la récolte était compromise. Dès la première inspection, nous remarquions que les grains étaient habités par la bruche. La larve d’une espèce de petit charançon hivernait confortablement bien au chaud dans le sac, à chaque graine sa bébête, voire plusieurs. La réserve était perdue pour la consommation et la semence prévue pour l’année suivante. C’était la catastrophe dans la famille car cela tarissait également le troc. Les gens étaient compréhensifs et continuaient à donner sans rien en échange, souvent. Je me souviens de la phrase couperet : « U fasgiolu hè bulidatu ! » (Les grains de haricots sont remplis de larves de charançon)

Ces années-là, j’en faisais un usage curieux. Sachant que les graines ne seraient pas utilisées, ma mère les triait pour isoler les saines et donc ne jetait pas le contenu des sacs avant de tout vérifier, je me remplissais les poches les soirs de cinéma. Il y avait ciné le jeudi et le dimanche. Ma tante était l’ouvreuse et la responsable du ménage de la salle, j’étais de séance à chaque fois puisque je dormais chez elle. Avec mon ami Antoine de Bébé, lorsque le film nous ennuyait, nous attendions les moments d’obscurité totale pour larguer un projectile dans le public. Le pouce servait de catapulte pour expédier vivement un fasgiolu bulidatu. On imaginait qu’il frappait un front, une joue et peut-être un œil lorsqu’une furieuse agitation montait du côté des fauteuils réservés aux plus fortunés. Un jour, sur notre droite, Nono avait pris place à côté du poêle et somnolait avec sa cigarette au bec. Nous visions sa clope et à force de roquettes, nous la vîmes voyager de la commissure gauche à la commissure droite. Un coup chanceux venait de faire mouche. Cela nous est arrivé une fois, un exploit que nous n’avons jamais oublié.

Aujourd’hui, une telle initiative nous reviendrait chère, les réserves de vingt kilos ont déserté les chaumières… et le moindre coco vaut son pesant de cotylédons.

Vous retiendrez qu’un œuf de coq ne se mange point à la coque puisqu’il n’a pas de jaune, une curiosité qui fait voyager les idées. Pour moi bien entendu ! Je suis largement mécanisé à ce genre d’exercice… C’est mon passe temps favori.

Encore jeunes poulettes mais déjà bonnes pondeuses.

1 Comments

  1. Je cherchais depuis longtemps le nom à donner à cette manière que tu avais dans bien des textes de basculer soudainement d’un thème à l’autres, d’un temps à l’autre, du terre à terre à l’élévation et inversement et bien d’autres … le tout sans lien apparent fréquemment. Je n’avais pas pensé à « coq à l’âne ».
    Le « Robert » semble d’accord.
    Peu importe d’ailleurs le nom ce cette façon.
    J’ai souvent bien aimé, y ai trouvé matière à réfléchir et encore plaisir avec ce double saut libre du présent au passé via les haricots et les œufs.

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