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Désormais vous avez l’habitude, je suis un bavard impénitent. Un rien m’allume comme disait Monique, la regrettée québécoise qui m’avait repéré sur les pages de ce blog. Rendez-vous compte, mes éclats de mots avaient échoué outre Atlantique, cela ne serait jamais arrivé sans le réseau internet, la toile, dit-on ordinairement.
Vous avez sans doute l’impression que je vous promène, vous êtes curieux de savoir ce qu’il en est de cette corne. C’est une vieille histoire que certains connaissent déjà et qui a trouvé une suite bien plus tard.
Il y a quelques années, j’avais monté deux piliers pour réaliser une pergola. J’étais bien incapable de hisser, tout seul, le planchon métallique de cinq mètres qui devait soutenir la structure, si bien que mon pilier ouest se trouva sans fonction, totalement oisif, dressé vers le ciel. Les gens qui passaient par là étaient perplexes devant cette érection inutile. Certains m’interrogeaient, « A quoi sert cette stèle ? », d’autres ne disaient rien mais jetaient un regard insistant vers ce monument sans usage comme il doit en exister un peu partout dans le monde. Il y a toujours une raison, déraisonnable, farfelue ou à l’explication prosaïque. Les gens qui me connaissent savent à quoi s’attendre, ils pensent que rien n’est totalement farfelu chez moi, même lorsque c’est farfelu en apparence.
Cette année-là donc, je fus assailli de questionnements étonnés, si bien que pour mettre fin à l’intrigue, je décidai de travestir mon pilier en totem. J’aime bien les indiens et leur côté sauvage m’enchante. Je l’avais coiffé d’un reste de tuile en guise de casquette à visière afin qu’il ne soit pas trop ébloui par le soleil qui frappe Aratasca sans discontinuer à longueur de journée. Il ne me restait plus qu’à confectionner une corne que je pris soin de sculpter dans une branche tordue de chêne vert. Une fois fixée sur le temporal gauche de mon totem, pour qu’il n’y ait plus aucune ambiguïté, je gravai sur une moitié de tuile la mention « Bison écorné ». Je pensais que le tour était joué mais que nenni, nombreux furent ceux qui me demandèrent, sans s’étonner qu’il existât un monument de ce genre dans nos contrées, pourquoi « écorné » ? Cela me semblait évident puisqu’apparemment il avait perdu une corne. Aurais-je dû préciser « écorné unilatéral » ? On n’en sort plus. Eclairez un étonnement et vous voilà plongé dans un autre étonnement par le jeu des effets pervers. Toute nouveauté s’accompagne d’un effet imprévu. Cette situation, loin de m’agacer m’amusait beaucoup et meublait mes moments de solitude prolongée dans cet endroit peu fréquenté. De plus, c’est très utile pour stimuler les neurones.
La période totem dura un bon bout de temps jusqu’à ce que je trouve de l’aide pour rendre au pilier sa fonction normale. Bison écorné s’était habitué à son rôle de vigie tournée vers Archigna, la vallée que j’ai tant fréquentée durant mon enfance. Le soir très tard, le hibou qui bouboule dans les châtaigniers avant de fondre sur un mulot, venait lui tenir compagnie en se posant sur sa casquette. J’ai même trouvé une pelote de rejection sur la visière, c’est qu’il s’était attardé ce soir-là.
Ah ! Que j’aime mon coin de paradis où les histoires abracadabrantesques naissent spontanément !
Ce matin, j’allais à la cave pour attraper un sachet d’échalotes à planter. Instinctivement, j’ai jeté un regard panoramique sur le bric-à-brac environnant et je suis tombé pile sur ma corne qui m’attendait là au milieu d’objets hétéroclites, depuis des années. Intacte, on ne voyait qu’elle comme si elle s’agitait pour attirer mon attention. Pas la moindre attaque d’insecte ni de champignon. Elle semblait fière de me retrouver. Nous sommes descendus au jardin et là, « tzac ! tzac ! tzac… ! » Elle me fit plein de trous bien alignés pour que j’y loge mes petits bulbes.
Pour fêter ces retrouvailles inopinées, je lui ai trouvé un décor rudimentaire en la fixant sur le grillage afin de lui tirer un autre portrait. La corne n’avait pas pris une seule ride.
Avec cette nouvelle fonction qui risque de soulever d’autres questions, la corne de missiau est devenue le plantoir de grand-père. Nous avons convenu de ne pas trop l’exposer, je vais le saluer de temps en temps, nous aurons tout loisir d’entamer conversation à chacune de mes visites.
Les objets inanimés ont sans doute une âme, il suffit de les interpeller même pour s’amuser, c’est alors qu’ils prennent vie pour vous accompagner et vous raconter mille choses saugrenues.