Je me souviens du jour où j’avais reçu un mandat venant de Corse, ma mère avait signé « Baisers maman ». A l’époque, j’avais vingt-deux ans, on ne disait pas encore « bisous ». Les baisers, c’était un autre temps, c’était naguère. Ils accompagnaient un pécule tous les mois pour améliorer mon quotidien d’étudiant à la faculté de Nice. C’était bien un seul quotidien puisqu’il ne survivait que quelques heures, même pas vingt-quatre heures. Mes parents à la rame de tous les jours « tireliraient » les maigres sous de leur labeur pour soulager ma vie estudiantine. Ils ne savaient pas que l’étudiant pouvait se débrouiller malgré tout. C’était mon cas, je vivotais mais m’en sortais très bien avec le secours des amis et de Joséphine, la mère de celui qui m’avait poussé jusqu’à l’université, qui me nourrissait presque en cachette, mieux que dans un restaurant.
Ce jour-là, Alain, debout bien avant moi, relevait notre courrier. Il devait être dix heure du matin, nous n’étions pas très matinaux, notre vie plutôt noctambule nous interdisait les réveils auroraux. Il me secoua vigoureusement en agitant le mandat au-dessus de mon nez comme on secoue un éventail, en disant : « Il y a baisers maman ! » C’est ainsi qu’on appelait ce bol d’air mensuel qui me permettait de payer mes dettes. Je ne dépensais jamais rien puisque je ne possédais rien, c’était l’occasion d’inviter mon ami au routier de la rue Alsace Lorraine. Je retirais les sous à la poste vers onze heures, avant treize heures, il ne me restait plus rien. Tout y passait dans le repas de midi au troquet du coin. Nous étions installés devant la baie vitrée très fortement embuée. Dans cette atmosphère enfumée, le brouhaha était à son comble, nous avions du mal à communiquer entre nous. La salle était surbookée et la serveuse, sans doute embauchée à la dernière minute pour survivre au coup de feu, nous proposait des « calonnoli ». Malgré ses efforts pour tomber sur le mot juste, elle s’embrouillait davantage de sorte que nous eûmes pitié d’elle en lui concédant « Allons-y pour les « calonnoli ». Je suis sûr qu’Alain s’en souvient encore.
Aujourd’hui, j’ai souri à cet épisode. C’était jour de brucciu, je me suis souvenu que la menthe prospérait dans un coin du jardin. Il fut très facile de célébrer « les calonnoli » de notre serveuse qui éveillait quelques envies autres que culinaires. Nous la trouvions attendrissante avec ses hésitations, sa façon de ramer dans une situation que sans doute elle vivait pour la première fois. Nous espérions une sorte d’après « calonnoli » que nous ne connûmes jamais. C’était le temps des rêves souvent perdus.
Ce plat du jour est devenu un jeu d’enfant depuis qu’on m’a conseillé un appareil très élémentaire, totalement efficace pour remplir les tubes cannelloniens.
Je n’entrerai pas trop dans les détails, c’est d’une simplicité biblique. Un bouquet de menthe hachée, du sel, du poivre et une pointe d’ail. On noie le tout dans une sauce tomate un peu liquide pour cuire les pâtes et le tour est joué.
Le plus important dans la vie est de trouver le moyen de s’amuser le plus sérieusement du monde, c’est-à-dire comme ça vient et sans ambages. C’est ce que je tente de faire au quotidien et cela me convient très bien… pour le moment.
Menthe cueillie au jardin ce matin, encore givrée par le froid de la nuit. Cliquez sur les images.