Toubib or no toubib ?

S’il existe un ignorant de la langue de Shakespeare c’est bien moi. Je n’ai jamais étudié l’anglais. De mon temps c’était italien et basta !

D’ordinaire, je n’aime pas qu’on me parle avec un peu d’anglais dans l’expression et lorsqu’on me dit : « what is it ? », j’ai envie de répondre « Tu m’agaces ! » pour ne pas dire plus. Je ne supporte pas cette intrusion anglophone, parfois à l’américaine, à tout propos. J’ai mis du temps à m’informer, désormais je sais mais je ne m’y fais toujours pas.
Pourtant, aujourd’hui, l’« Etre ou ne pas être » shakespearien m’est revenu comme une évidence, vous allez comprendre pourquoi.

Depuis quelques années déjà, on constate un déclin de notre système médical. Au début ce n’était qu’un frémissement, aujourd’hui c’est une trémulation et bientôt ce sera un franc tremblement parkinsonnien.

Le numérus clausus destiné à cadenasser l’accès à la profession a sans doute joué un rôle décisif dans l’affaiblissement de la médecine territoriale. On ne peut pas dire que les nouveaux omnipraticiens soient de plus haute volée que leurs prédécesseurs, non plus. On cherche à sauver les déserts médicaux comme on peut, même en faisant appel à des généralistes venus d’ailleurs dont on ne connait pas parfaitement le cursus. On fait foi au diplôme. On se demande à quoi a servi le numérus strict. Le débridera-t-on avant qu’il ne soit trop tard ?

Cette idée d’écriture m’est venue aujourd’hui en fouillant dans mes affaires. Je suis tombé sur une vieille analyse de sang, du temps où les normes étaient plus lâches (moins strictes) qu’aujourd’hui. Notre dernier médecin de famille qui ne rechignait pas à venir à domicile, ne passait jamais en coup de vent lors d’une visite. Outre la médecine, il pratiquait la psychologie élémentaire. Celle qui accompagne autant le patient que son entourage. Il s’asseyait, prenait le temps d’écouter puis de parler, vous rassurait si le cas n’était pas alarmant. En patrouille, parfois autour de minuit ou sur le versant qui mène au petit matin, c’est à ces heures impossibles que l’inquiétude est à son comble dans les chaumières touchées par le mal et que l’on se décide à téléphoner au toubib. La vie était infernale pour lui qui dormait peu en visitant ou recevant en son cabinet une patientèle conséquente, bien plus abondante que de nos jours, sans doute. Jamais, je ne l’ai vu de mauvaise humeur. Jamais. Lorsqu’il était avec vous, il était tout à votre cas, tout à votre pathologie du moment. Une empathie qui comptait beaucoup dans le soin médical.

Je me souviens de ce jour-là, il n’était pas minuit mais une heure raisonnable de l’après-midi. Il lisait mes analyses. Sans prévenir, il sortit son stylo et annota en marge des résultats comme l’aurait fait un maître d’école pour informer son écolier. Il avait compris que j’étais capable de saisir ses remarques et ne se privait pas de m’éclairer. Sans doute, ne faisait-il pas cela avec tout le monde, c’était une affaire de lucidité. Il savait comment procéder avec chacun.

Beaucoup riraient de cette approche aujourd’hui. Bien plus, s’en moqueraient.

Le médecin de famille était en campagne permanente comme un soldat au front du mal-être des autres. Comme un curé qui messoyait* pour les âmes de ses ouailles, il médecinait* avec grande humanité.

On dit que les temps changent et qu’il faut se mettre au diapason. Nous sommes bien obligés de nous y conformer mais personne ne m’empêchera d’avoir une pensée émue pour Horace Mela, il y a très longtemps, comme pour Jacques Maestratti qui a annoté le document ci-joint. Ils étaient encore les envoyés d’Hippocrate dont ils respectaient le serment.

Finalement, entre « Toubib or no toubib », je préfère celui avec une majuscule d’un autre temps. Si je suis encore en vie c’est à eux que je le dois, avec les moyens du bord, ils ont réussi des merveilles.

Pour le reste à l’impossible personne n’est tenu.

*Les verbes messoyer et médeciner n’existent pas mais vous en avez compris le sens.

 

 

 

 

 

Ils dorment sous la terre, ils dorment sous les temps.

2 Comments

  1. Que de vrai dans Toubib or not toubib ..je peux en dire un mot après 42ans de médecine de campagne à Zicavo. Tout juste retraité à 70 ans je me suis promis de ne pas émettre des critiques envers les jeunes confrères qui arrivent sur le ´marché ´car en fait là est toute la problèmatique..Pratiquer la médecine tout en privilégiant gain et vie privée.. une équation impossible, et la chute sera terrible..pour ma part j’ai fait mon métier comme je l’entendait..si mes patients me glorifient,ils vont bientôt disparaître et la génération suivante s’accommodera de la nouvelle pratique de la médecine sans épiloguer de celle qu’a reçue ses parents.Donc il vaut mieux ne pas en parler et laisser le nouveau monde s’installer sans envie de le connaître..

    1. Bonjour M. de Castellani.
      Je vous remercie pour votre commentaire et votre passage par ici. Ce n’était qu’un billet d’humeur de circonstance qui ne fait qu’effleurer la question. Comme vous le dites, les nouvelles générations qui n’auront pas connu le médecin de campagne ne seront nullement gênées puisque nées dans le nouveau système. Nous sommes, ceux de notre génération, plus sensibles au changement. Ci ferma pogu tempu e dopu ugnunu fara com’iddu pò !

      Je vous souhaite une bonne journée e bedda ritirata.

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