N’u tavonu ! (Dans le trou !)

Cette interjection m’a frappé l’esprit dès que quelqu’un m’a parlé d’Antoine. Elle dormait dans un coin de ma mémoire en attendant son heure.

Une exclamation d’une banalité affligeante direz-vous. Non, non, pas si anodine que cela car elle fait partie d’un nano millimètre de mon histoire, mais un nano qui a beaucoup compté. Genre microscopiques effets, grandes conséquences.

C’était au sortir de l’adolescence lorsque je cherchais ma place dans l’équipe de foot de Lévie. J’étais plutôt gringalet mais Dieu que j’adorais courir et taper dans une balle, presque du matin au soir sur n’importe quelle place du village. Il suffisait de rencontrer quelque chose qui ressemble à un ballon, quelque chose qui roule, une boîte de conserve parfois et le shoot décochait. Comme tout gamin de nos quartiers, inspiré par le foot, je faisais mon possible pour gagner ma place dans l’équipe. Ce n’était pas donné d’avance puisque la concurrence était rude sans trop écorner la camaraderie.

Je crois que c’était une des premières fois que je figurais dans la squadra locale. Nous jouions ce jour-là dans notre stade mythique de Ciniccia. Dès que je parvenais à proximité des buts adverses, mes yeux devenaient plus gros que mes pieds de sorte que j’en perdais toute lucidité. Je voulais à tout prix marquer un but pour marquer un point dans l’esprit des autres. Je me démenais comme un beau diable, coureur infatigable, je ne baissais jamais la garde malgré mon gabarit léger qui n’impressionnait personne.

Nous étions largement mécanisés et nous nous connaissions sur le bout des chaussures à force de parcourir la Piazzona balle au pied. Les automatismes s’acquerraient ainsi, mainte fois tentés lors des entrainements. Non pas que nous cherchions à tout calculer, bien au contraire tout naissait d’une affinité avec le jeu de l’autre. Antoine était de ceux-là, un gagneur, inépuisable. Un amoureux du beau jeu, distillant les actions sans en oublier le cadre visé. Il cultivait l’élégance du geste cherchant fluidité dans l’allure au service d’une conclusion efficace. Le goût de l’esthétique, déjà. L’expression « mouiller le maillot » lui collait à la peau comme cela lui arrivait toujours à force de transpirer. Ainsi, expression imagée et réalité fusionnaient parfaitement dans son cas.

Je me souviens, nous venions de franchir le rond central en « une deux ». Il n’y avait que deux défenseurs devant nous, un peu rapprochés, Antoine me lança : « n’u tavonu ! ». Il glissa la balle entre les deux joueur adverses et je ne sais comment j’ai fait, dans la foulée je décochai un de ces tirs terribles, une bonne vingtaine de mètres devant les buts. La balle s’écrasa sur la transversale faisant trembler les poteaux. Jamais plus, je crois, je ne frappai balle de la sorte. Tout y était, la soudaineté, la reprise instantanée au rebond comme un ressort qui décuple la force du tir. Laurent Galluci qui se postait toujours derrière la cage adverse, se prit la tête à deux mains et me cria « Ô tamantu pachettu ! » Il en était tout ébahi. Je crois même que ce tir aurait été moins spectaculaire en entrant dans les buts sans faire de bruit.

Cette action que je n’ai jamais oubliée reste associée à Antoine d’Aristu. Une entente parfaite sur ce coup. Alors, n’allez pas dire que c’est d’une banalité affligeante, pour moi ce fut un coup énorme qui me donna une confiance jusque-là plutôt timide. Dans le secret de mon être, j’étais monté en grade puisque j’étais capable de réussir un coup fumant. Certes, cela n’arrive qu’une fois, « un colpu di sciambottu » comme on dit par ici, mais Chut ! Inutile de le crier sur les toits, pour moi l’action fut belle et mémorable.

Parfois les petits riens vite tombés aux oubliettes produisent de grands effets pour qui cherche sa place.

Je crois que Laurent n’a rien oublié, je l’entends rire et le vois encore me courant après pour me féliciter.

Voilà d’où l’on vient… On se forgeait aux futilités importantes, presque à l’oxymore, et notre jeunesse fut belle !

Oxymore=Figure de style composée de termes contradictoires.
Un colpu di sciambottu=un coup chanceux sans savoir comment il arrive.

Je n’ai pas de photos de l’époque, alors pour le plaisir voici quelques images détournées. Je sais qu’Antoine, avant de devenir sculpteur  nourrissait son âme d’artiste à l’aquarelle…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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