Primeur, la pimpante Annabelle !

Cela me démangeait depuis quelques jours. La variété Annabelle, précoce à semi-précoce c’est-à-dire consommable en primeur quatre-vingt-dix jours après la mise en terre, semble bien torturée par les pluies abondantes et incessantes du mois de mai. Son port n’est pas bien haut et son feuillage bien abimé, malade de potomanie* infligée par un printemps humide à l’excès. J’avais hâte de voir ce qui se passait sous terre. Il me semblait qu’Annabelle pensait à moi et qu’elle cachait bien sa surprise. Je voulais en avoir le cœur net malgré ses quatre-vingts jours après plantation, seulement.

Le premier tubercule à remonter sous la bêche dentée était de belle taille. Presque frénétique comme un gamin qui découvre une surprise, je me mis à fouiller sous les racines. J’ai arraché quatre pieds et finalement, je suis plutôt content. Je savais la production limitée et le calibre moyen des tubercules, généralement peu nombreux.

Ce midi du 26 mai sera fête à « sautées » ou plutôt à « tournées » puisqu’elles passeront au four pendant une bonne vingtaine de minutes à 200 °C (Mieux vaut suivre la cuisson à vue et piquer de temps en temps pour jauger la cuisson). Coupées en deux, quatre ou six, elles baigneront dans de l’huile d’olive, salées, poivrées et bien parfumées au thym ou à la persillade, je n’ai pas encore décidé.

J’ai d’autres variétés dont une de garde que je réserve pour mes soupes au pistou froides au cœur de l’été. Le soir surtout. De nombreux convives de passage sous la Zinella, d’abord très dubitatifs, ont été surpris par la soupe froide. Le secret réside dans sa composition, une à deux courgettes pas plus, deux variétés de pommes de terre, une fondante qui va absorber le liquide pour le rendre moins aqueux, une variété de tenue pour avoir des morceaux. Enfin une à deux poignées de haricots verts fraîchement cueillis et puis c’est tout. L’ensemble va cuire doucement jusqu’à la consistance d’une purée légère. Il existe d’autres variantes, je m’en tiens à celle-ci. J’évite la carotte qui donne une dominante sucrée. Pour le pistou, c’est huile d’olive avec ail et basilic tamponnés au pilon dans un mortier sans fromage pour moi. C’est parfait.

Comment voulez-vous que l’on ne sublime ces moments de bonheur pur ? Attendre que la nature fasse son œuvre, surveiller, gratter la terre et puis un jour la découverte. Une culture sans chichis, sans un produit tordu au nom bizarre qui sent la chimie. Rien que terre, fumier naturel, eau et  le soleil qui rigole en chauffant le jardin puis se cache pour le refroidir un peu. On dirait qu’il s’amuse à nous faire peur en encourageant les nuages à le masquer puis déverser des trombes d’eau. Il fait l’innocent : « C’est pas moi ! On m’a empêché de sortir ce matin, hier et avant-hier aussi ! » Et rigole encore en voyant le mildiou jaunir abondamment le feuillage des solanacées. Des plants à genou mais qui produisent encore un peu en secret.

La belle incertitude de la vie s’exprime au potager comme dans la banalité des jours. Mais quelle joie, quelle émotion parfois, lorsqu’on savoure autour d’une table le labeur de plusieurs mois. A regarder les sourires des autres, les yeux qui se ferment pour mieux apprécier le moment qui passe, à dire : « C’est beau la vie, la simple vie, n’est-ce pas ? » Et l’air pur de l’Aratasca, caressant, parfois un peu plus turbulent, qui monte de la vallée d’Archigna.

J’ai toujours rêvé de retourner un jour à la terre. On y rêve beaucoup lorsqu’on vit à la ville. Retrouver mon enfance, les joies terre à terre de mon père… On n’y croit pas, on pense qu’on arrivera trop tard. J’ai eu la chance de revenir chez moi au bon moment. Un moment qui perdure et j’espère s’éternisera un tout petit peu.

Voyez-vous, je suis heureux comme une Annabelle qui découvre, à peine sortie de terre, tout le plaisir qu’engendre un tubercule tant souhaité et finalement bien mérité. J’ai d’autres filles qui attendent. Il y a Charlotte, Amandine, Mona Lisa et Dolreine. Elles dorment encore mais j’imagine qu’elles ont hâte de découvrir l’été sous la Zinella.

Chacune a son charme , je ne suis pas pressé, la surprise n’en sera que plus savoureuse.

*Potomanie=Pathologie psychiatrique qui consiste à boire beaucoup d’eau de manière irrépressible. Plusieurs litres par jour, pas toujours assimilables par le corps au point de possiblement provoquer la mort.

Après la douche.

 

 

 

 

J’ai finalement opté pour persillade et herbes sèches…

 

 

 

… au poulet en crapaudine.
( Ouvert et aplati comme le font les portugais au barbecue. Ici au four.)

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