René.

René ? Je ne connais pas ce monsieur mais je sais que malgré son âge, il a franchi les quatre-vingts printemps, il cultive encore son jardin avec grand plaisir si j’en crois les rumeurs qui me viennent de sa Vendée peut-être natale. Je ne sais pas.

J’imagine que vous êtes étonnés comme les lapins d’Alphonse en découvrant ces lignes. Désormais j’ai pris l’habitude de décrire ainsi les étonnements marqués, en référence au texte d’Alphonse Daudet « Installation » qui commence ainsi : « Ce sont les lapins qui ont été étonnés… » Vous pensez sans doute « C’est tout de même curieux d’évoquer une personne qu’on ne connait pas. » Ben non ! Voilà ! Ça existe sans que ce soit une extravagance, c’est une chose simple de la vie.

René est le voisin de ma fille. Un jour, alors qu’ils conversaient, elle lui a parlé de mes tomates Corses de race pure. Une variété ancienne qui produit de gros fruits, variété reconductible d’année en année puisqu’elle ne dégénère pas comme les hybrides au fil du temps. En bon jardinier, sans doute, et amoureux du potager, il avait demandé s’il pouvait recevoir quelques graines, ce que je fis avec grand plaisir. J’espère qu’elles s’acclimateront sans rechigner à l’air de l’Atlantique. L’air méditerranéen est partageur.

Aujourd’hui, je recevais un cliché de ses plants bien avancés qui n’attendent plus que la mise en terre. René semble satisfait de ses semis et sourit à l’idée de savourer nos tomates nustrale (Corses). Je l’imagine devant une bonne salade agrémentée de cerceaux d’oignon rouge bien charnu, d’olives noires et d’anchois, le tout arrosé de deux ou trois, plus peut-être, bonnes giclées d’huile d’olive. Ce jour-là, il se croira en Corse parmi nous. La pensée est bien capable d’inventer le familier à travers l’inconnu. Je voyagerai en Vendée à ses côtés en dégustant les miennes. J’ai l’imagination fertile, elle me fait vagabonder dans tous les coins du monde sans naviguer sur les océans ou dans le ciel…

Vous savez René, lorsque la saison estivale tire à sa fin, que nous nous sommes largement gavés de tomates bien juteuses, je prépare des sauces pour l’hiver. Les spaghettis, mes préférés, aiment se rouler dans la sauce aromatisée au basilic. Vous les verriez se tortiller, tout rouges, entrelacés enserrant des petits bouts d’ail et surtout s’enrober de fromage râpé bien piquant de chez nous. Le parmesan fraîchement gratté leur convient aussi. Et lorsqu’ils s’enroulent comme des lianes autour de la fourchette, ils savent qu’ils vont affoler les papilles. Vous fermez les yeux et savourez lentement, la mâche longuement prolongée pour éterniser la gourmandise.

Et puis, confites au four à bois, farcies, frites à la provençale, bref, vous imaginez le plaisir.

Cher René que je ne connais pas, vous m’êtes déjà bien familier. Je vous vois penché sur vos petits trésors du jardin, l’œil encore vif et l’espoir au bout de la récolte. J’espère que vous profiterez d’une bonne fructification, je crois que nos tomates ne sauraient trahir ma confiance. Je vous fais un clin d’œil et méfiez-vous du mildiou ce fou comme ses copines maladies fongiques qui nous font bien des misères en se moquant de notre labeur et capables de tout saccager en un rien de temps.

Chez nous, nous avons un sacré jardinier qui se nomme Roger. Il communique tant aux autres son amour du potager que j’ai songé à lui consacrer une nouvelle expression : « Heureux comme Roger en son jardin ». Après « Etre étonné comme les lapins d’Alphonse » la campagne est bien bonne inspiratrice, n’est-ce pas ?

Amitié d’un copain de Corse !

Extrait.

INSTALLATION.

Ce sont les lapins qui ont été étonnés !… Depuis si longtemps qu’ils voyaient la porte du moulin fermée, les murs et la plate-forme envahis par les herbes, ils avaient fini par croire que la race des meuniers était éteinte, et, trouvant la place bonne, ils en avaient fait quelque chose comme un quartier général, un centre d’opérations stratégiques : le moulin de Jemmapes des lapins…

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