La vahiné.

Chamarrée.

15 703 km entre Papeete et Paris. Rendez-vous compte du long parcours qu’elle s’était infligé en demandant à faire son stage en métropole. Presque un demi-tour de terre pour voir comment les choses se passent ailleurs.
Avait-elle donc du courage ou bien était-elle inconsciente ?
Pour mon plus grand bonheur, c’est chez moi, dans ma salle, que je la vis débarquer un jour. On m’avait annoncé la venue d’une stagiaire sans autre précision. C’était ainsi, une habitude des institutions, on m’imposait des candidats à la fonction sans prendre mon avis.
Des rencontres plutôt agréables le plus souvent. Il arrivait que quelque farfelue (les femmes plus nombreuses candidates), portée sur le côté frivole, vienne jouer ses gammes sans grand succès tant le décalage entre l’aspect extérieur engageant et l’esprit dégonflant l’agréable, était grand.

Ma plus belle rencontre, je la fis avec la vahiné.

Son apparition fut lumineuse et très intimidante tant elle rayonnait.
Ebloui par son charme comme une surprise divine, tout le savoir dont on me croyait tenir s’effondra en quelques secondes.
Qu’allais-je lui enseigner ? Qu’allais-je lui transmettre de ce monde scolaire en difficulté ? Quelle vision des choses ? Dérisoire.
Une apparition de ce type devrait se suffire à elle-même, pouvait-on imaginer. Paraitre et apaiser me semblait une évidence. Nous sommes des humains et non des distributeurs de savoir.
Que sait-on ?

Elle arrivait de Tahiti avec un sourire radieux capable de transformer chaque bas quartier en paradis terrestre. Lorsqu’elle apparaissait le matin, rayonnante, magnifique dans sa robe légère et flottante, son œillet tout frais dans les cheveux, ma salle s’illuminait.
L’œillet chamarré rouge et blanc qu’elle portait du côté gauche ne faisait qu’augmenter son charme naturel, incomparable, imparable.
C’était léger, presque aérienne dans ses pas. Une jeune et jolie dame saine de corps et d’esprit. Un sourire engageant qui ne cherchait aucun autre effet que celui de rendre la vie plus lumineuse et plus agréable. Tous les matins de son séjour, j’entrais dans un autre monde où tout semblait sans problème, sans difficulté… elle ne lançait que des rayons de soleil sur les autres. Même les jours de pluie rappelaient les cocotiers et la plage exotique. Elle vivait tant dans l’atmosphère paradisiaque que le moindre effort pour comprendre la difficulté d’un enfant l’épuisait rapidement.
Transplantée dans un autre monde, elle paraissait déboussolée : « Ce n’est pas comme ça chez nous, c’est trop compliqué pour moi ce que tu fais. Je n’y arriverai jamais. »
Ses habitudes étaient plus relax, moins prise de tête, un sourire lui suffisait mais nous n’étions pas sur son île…

Lorsqu’elle est repartie, soulagée de rentrer à Papeete, elle n’y est probablement pas retournée pleine d’usage et raison. Rien n’avait changé dans sa tête. Elle m’a salué avec le même sourire qu’en arrivant, un sourire à vous faire oublier tous les maux de ce monde. Elle m’a offert une vingtaine (sic) de colliers faits de toutes sortes de coquillages,
– Pour votre épouse ! me dit-elle.

Il eut été dommage que cette belle créature vienne en métropole pour perdre ce qu’elle avait de plus précieux en elle, ce sourire apaisant qui vous parle d’une autre vie… J’en ai gardé des séquelles heureuses. Qu’est-elle devenue ? Cela fait trente-cinq ans. Je crois qu’elle rayonne encore…

J’ai gardé ce scintillement pour que ce texte s’achève sur une note joyeuse.
Elle était venue pour apprendre et c’est d’elle que j’ai pris ma plus belle leçon.

… Et les autres aussi.

9 Comments

  1. Nous apprenons toujours de nos visiteurs, à proportion de la distance qu’ils ont parcourue pour nous visiter pour peu que l’on ait le cœur ouvert.

  2. oui c’est bien ça…..il ya sur notre chemin de belles personnes qui transmettent…sans le savoir, et c’est ça la magie!

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