*Orthographe très incertaine.
A ses début, avec des jeunes du village, que les lévianais de nos âges n’auront aucun mal à reconnaître. (Cliquez sur la photo)
Ô Isabella bellacina… Nous étions sous le grand pin de la Cuncuruta, le regard dirigé vers Carbini. Les mentons bien levés afin de maintenir la tête haute, Monsieur de Lanfranchi, notre professeur de français, de travail manuel, c’était la désignation de l’époque, et de musique nous apprenait à chanter en chœur. Les fous-rires étaient vite réfrénés, le professeur veillait, ne tolérant pas les pertes de temps, les sanctions tombaient sans tarder. « Hou ! Hou ! C’est le vent de chez nous… » autre chanson. Les voix, modulées au rythme de ses gestes de chef d’orchestre, s’élevaient ou s’assourdissaient sans grand apprentissage tant cela semblait aller de soi sous sa baguette.
A l’automne, comme au printemps, les cours de dessin ou de peinture se déroulaient dans la nature. C’était l’occasion de nous exercer au récit, à la rédaction descriptive en créant des passerelles entre les disciplines. Ses interventions étaient d’une précision chirurgicale. Il nous connaissait tous individuellement dans nos moindres recoins. De la sorte, il conduisait un enseignement adapté à chaque personnalité et ne lâchait jamais sa prise. Inlassablement, il venait et revenait, nous poussant à produire le meilleur de nous-mêmes. Chaque aptitude était encouragée de sorte que personne ne se sentait inférieur aux autres. Il existait toujours un domaine où l’on se trouvait à la bonne hauteur. Je n’étais pas un foudre de guerre à cette période, il m’avait valorisé en me nommant capitaine de l’équipe de foot USEP. Je souviendrai toute ma vie de la cuisante défaite contre Porto-Vecchio, 8 à 0, équipe où figurait un certain Claude Papi dont nous connaissons le brillant parcours avec le SC Bastia quelques années plus tard.
Evidemment, d’autres élèves vous parleront des cours de reliure, des vieux livres remis à neuf avec un soin et une précision frisant le professionnalisme. Chacun pioche dans sa mémoire.
Je me souviens particulièrement de l’activité autour de la bibliothèque. Un souvenir très vivace tant j’ai dû ruser pour m’en sortir. J’étais encore un lecteur laborieux, incapable de lire un livre dans sa totalité. A vrai dire, je n’en lisais aucun, ma lecture très pénible me rendait vite inopérant. Il me fallait une heure pour aller au bout d’une page, vous imaginez la torture. Il nous imposait un travail très circonstancié sur le cahier de bibliothèque. Nous devions partager une page en deux pour écrire le titre de manière artistique sur la partie supérieure et présenter la biographie de l’auteur sur la partie inférieure. Sur la page suivante également séparée en deux, nous devions noter des mots « difficiles » glanés dans la lecture avec leurs définitions. Puis les deux ou trois plus belles phrases, à notre choix, précédées d’un titre de notre cru afin de nous exercer à la synthèse. Enfin, sur la troisième page, nous devions résumer l’histoire. Comment m’en sortir ? Ce fut ma mère qui lut le premier livre à ma place et le résuma à sa manière. Pour les mots et les phrases, je n’avais qu’à piocher au hasard pour en trouver, quant au titre et la bio, c’était fastoche. Mon premier résumé fut un échec. J’avais résumé le résumé de ma mère, autant dire que la réduction était bien éloignée de l’histoire. La note fut à la hauteur de mon labeur pourtant réel mais non à bon escient. Pour les lectures suivantes, je choisissais des livres déjà lus par des copains et je m’appuyais sur leur résumé ou les interrogeais pour en savoir davantage. Devant mes condensés, parfois très éloignés de l’histoire racontée que je découvrais au moment de la correction, le professeur était très perplexe quant à ma compréhension. Il ne se montrait pas très optimiste à mon égard. Il avait sans doute raison en découvrant mes productions.
Mon manque d’appétence pour les livres résultait sans doute d’un apprentissage laborieux, encore inabouti à cette période du secondaire. Les séquelles étaient nombreuses. Une fatigabilité sévère par déficit de lecture courante, toujours chaotique avec de nombreux achoppements qui parasitaient la compréhension. Je ne franchissais jamais la première page tant la forêt des phrases me paraissait impénétrable. Il m’arrivait souvent de lire la fin seulement ou de pratiquer une lecture en diagonale en picorant des idées au hasard de paquets de pages, en sautant des pans entiers de l’ouvrage.
J’avais été victime à l’âge de cinq ans d’une surdité partielle provoquée par des médicaments ototoxiques destructeurs du nerf auditif de manière irréversible. Une conséquence encore mystérieuse à l’époque. Mon handicap était connu mais se remarquait peu car je compensais par une écoute soutenue mais largement insuffisante. Cette « infirmité » accidentelle expliquait mon retard pour parvenir à une lecture expressive et aisée. Un apprentissage difficile et très retardé.
Il existe des moments bénis dans la vie à ne surtout pas gâcher. Je crois que ce fut mon cas. Denise, une voisine, avait remarqué les efforts que je faisais pour courir après la réussite en classe sans trop de succès. C’est à cette période qu’elle m’offrit un vieux dictionnaire qui appartenait à son frère. Elle me l’avait confié en cachette me précisant qu’il ne s’en servait plus, qu’il fallait garder le secret tout de même… Je l’avais caché sous mon lit et tous les soirs, sous les draps avec une lampe, je partais à la conquête des mots. Je choisissais les définitions les plus courtes et illustrées, dans un premier temps. Cela me facilitait la tâche. Au fil des nuits, je m’aventurais, sans crainte, à la découverte des définitions sans le support imagé. C’est ainsi, jour après jour, que je constituais mon stock de mots avec une précision pointue dans les nuances. Je m’inventais des mondes secrets bâtis à partir d’un vocabulaire fraîchement acquis comme autant de petites barques qui m’invitaient à découvrir l’horizon. Ma démarche était à l’opposé de celle des autres. Habituellement on éclaire un mot obscur rencontré dans une phrase pour en exploiter tout le sens. Dans mon cas, c’étaient les mots qui m’invitaient à construire des histoires comme on construit une maison pierre par pierre. Je voyageais du pointu au complexe quand les autres parcouraient le complexe pour saisir le pointu. Mon éclosion à l’écriture débuta en seconde au contact de Montaigne et Rabelais, ma révolution orthographique fut plus longue et plus laborieuse s’épanouissant après vingt ans. Plus doué pour les sciences et les mathématiques, je pus accéder au lycée, ce fut ma deuxième chance.
Je savais que mon professeur de français était attentif à tout. Souvent, les dimanches soir, j’étais de cinéma car je vivais avec une tante qui s’occupait de la salle et de l’affichage, ouvreuse, et caissière au moment où le projectionniste démarrait le film. Il avait son fauteuil attitré. Lorsqu’il était présent à la séance, j’étais levé vers cinq heures le lendemain pour apprendre mes leçons. Tante était impitoyable lorsque je lui demandais de me réveiller tôt. Elle était très matinale et me secouait sans arrêt pour que je saute du lit. De la sorte, j’apprenais et ne fus jamais pris en défaut de délaisser la chose scolaire.
« Ô Isabella, bellacina… Boung et wa… », Notre professeur a formé un grand nombre d’entre nous à l’observation, au goût des choses bien faites, à l’apprentissage de la vie et de ses exigences. Il nous incitait à la précision mais aussi à découvrir le monde et ses précieuses composantes. Je l’ai gardé en mémoire, durant ma carrière, je pensais souvent à lui, sa rigueur, son professionnalisme sans jamais perdre de vue sa mission essentielle : aider ses élèves à donner le meilleur d’eux-mêmes cherchant en chacun ses plus belles réussites. Il n’était pas le seul, je crois que nous avons eu la chance, dans notre petit village, en spartiates et culottes courtes, de croiser des enseignants qui méritent sans la moindre hésitation le nom de MAÎTRES.
A travers ce texte, je les salue tous.
Bravo