Je crois que j’ai dû évoquer cette histoire quelque part dans ce blog mais vu le nombre élevé de textes vous avez peu de chances de tomber sur la première version. Alors j’en profite et revisite ce passage que je n’ai pas retrouvé.
Un humoriste se creuse parfois l’esprit pour inventer des sketches, il n’aurait qu’à écouter l’histoire qui suit pour assurer une bonne séquence de spectacle. Tout est servi sur un plateau avec la plus grande étrangeté. Jamais je n’aurais imaginé tomber un jour sur un récit aussi extravagant raconté le plus naturellement du monde. Après un effet de surprise énorme au démarrage, je me suis laissé porter en entrant simplement et totalement dans ce dialogue complètement loufoque.
J’étais assis sur le seuil d’un bar. Cela est encore possible l’hiver dans nos villages. Sur la marche la plus basse, un homme, également assis, rêvassait, le regard perdu dans les nuages bas d’un ciel couvert. Il se tourna vers moi et voici la conversation qui s’engagea entre nous et dura un long, très long moment. (il m’a parlé en corse, c’est une traduction)
– D’où êtes-vous ?
– De Lévie.
– De Lévie ni*, vous connaissez le trésor de Lévie ?
– Non, il n’y a pas de trésor à Lévie.
– Vous savez lire entre les lignes ? Portez-moi un livre sur le village et je vais vous montrer qu’on peut trouver l’emplacement en lisant entre les lignes… (Long silence puis il reprend)
– Vous connaissez Chirac ?
– Oui, de vue et de réputation.
– Ah ! L’abruti ! Je le connais bien. Il m’invitait parfois chez lui. Un jour, j’étais dans sa cuisine, il s’était absenté pour aller chercher du vin à la cave. Dans la cour, un chat me regardait et grattait la terre. J’ai tout de suite compris qu’il m’indiquait l’endroit où Chirac avait caché le trésor. Je suis allé voir et j’ai trouvé une marmite pleine d’argent enfouie sous terre. C’était pareil avec les truites. Une fois, à la pêche, je voyais une grosse truite qui faisait du surplace. Listessi !(Pareil !) le trésor se cachait juste dessous. J’en ai profité pour attraper le poisson, il a fallu la camionnette pour le monter jusqu’au village… Vous avez connu la guerre de 45 ?
– Non, je n’étais pas né.
– Voyez ce virage de la fontaine juste devant nous, lorsque j’étais enfant, les boches montaient au pas cadencé. Je m’étais juré de leur jouer un mauvais tour. J’avais capturé une petite couleuvre que j’avais dissimulée dans une poche. Un jour, je leur ai balancé le serpent entre les pattes… Si tu avais vu la débandade, j’en ris encore. Tiens, l’autre jour, je suis allé au jardin et tout au fond, j’ai aperçu un gros serpent. Lorsqu’il m’a vu, il s’est jeté dans mes bras. Il s’est mis à pleurer… mais fort, sunghjuzaia ! (Il sanglotait !). C’était la petite couleuvre de mon enfance, elle m’a tout de suite reconnu… Tu connais Nice ? (Vous avez remarqué qu’il est passé en cours de route du vouvoiement au tutoiement ?)
– Oui, j’en viens.
– Tu connais la Promenade ?
– Oui.
– J’habitais juste derrière et tous les soirs vers neuf heures, une murène venait me voir à la maison. Tu connais ce poisson qui a une dent qui dépasse devant, comme ça ? (Geste avec le doigt crochu à l’appui) Nous étions copains comme cochons. Un soir, alors que je l’attendais, elle n’était pas à l’heure. Vers dix heures, je me suis douté que quelque chose n’allait pas. Je suis descendu sur la plage et là, j’ai vu des touristes qui s’étaient donné la main pour lui faire barrage et l’empêcher de venir chez moi. J’ai attrapé un gros bois flotté… Quoi ni, vous allez l’empêcher de venir chez moi ! Si tu avais vu « u scapa, scapa ! » (la débandade)
Et puis quelqu’un est venu me chercher, il était temps de partir. Je suis resté un long moment perplexe devant ce que je venais d’entendre. Même en mettant en route mon imagination la plus fertile, jamais, je n’aurais inventé des histoires pareilles. C’était sans doute un descendant de Noé pour avoir gardé une si belle connivence avec les animaux… et possiblement quelques gènes d’Ali Baba pour le côté trésor.
*Ni, placé ainsi est un tic de langage souvent rencontré à l’oral. ( Ié ni, a cunosci ! Oui ni, tu la connais !)
La couleuvre jaune et verte de Corse.
Chut ! C’était moi !