Quelqu’un est venu…

Philosophie élémentaire, peut-être rudimentaire, dans la pratique des jours et le mystère du vivre…

Cela fait quelques années que ce sujet me trotte dans la tête. Non pas qu’il me hante et m’empêche de vivre, il me faut quelques secondes pour y songer puis quelques minutes pour écrire. Je ne suis pas envahi par l’obsession, c’est juste l’instant de rassembler quelques affaires dans mon esprit, le reste du temps j’épicure.

L’impression d’y passer mes journées dessus est tenace alors que ces idées sont fugaces. Je les retiens au passage et les partage parce que j’y tiens. J’ai encore l’esprit vif et solide pour ne pas sombrer dans une quelconque détresse, ni dans la tristesse. J’ai besoin d’entretenir mes connexions neuroniques en nourrissant le circuit cérébral avec ce que je sais, ce que je pense et ce que je crois.

Ce que je sais est apporté par l’expérience, le vécu, le rationnel. C’est le tangible, le palpable, le fait avéré, la certitude, la loi physique. Ce que je pense est du domaine du possible, du probable. Des choses envisagées et envisageables, parfois aux frontières du souhaitable. Un mélange de réalités à venir ou pas, auxquelles on donne une direction préférentielle. Et puis, ce que je crois qui s’impose, ne demande aucune démarche rationnelle, n’attend aucune vérification. Le « croire » est intime conviction exclusivement. Son domaine est celui d’un inconnu inabordable, de la pensée métaphysique qui ne se discute pas. C’est à croire ou à laisser.

J’ai laissé tomber le croire qui n’est pas dans ma nature profonde. Je n’ai pas besoin d’être rassuré sur l’idée de Dieu, la charge est bien trop lourde et hors du temps d’une vie pour avoir une chance infime de frôler le mystère. Entre mythe et mystère difficile de trancher. La durée d’une vie est aléatoire : Celui qui a intégré la notion de temps ne se préoccupe plus du sens de la vie et se passe de l’idée de Dieu. Ceci est ma pensée profonde. Rien n’est plus simple et logique pour un esprit humain, que de rester à sa place.

C’était une nuit calme sans lune et sans vent. Le cimetière s’était assoupi après une journée de visites animées. On devinait, dans la pénombre, le jardin fleuri. Le parfum des chrysanthèmes, maintenu par un ciel bas à hauteur de croix, flottait entre les tombes. Quelques maigres lueurs persistaient çà et là, bientôt toutes les bougies à la flamme vacillante auront rendu l’âme et l’odeur de la cire chaude sera dominante.

J’ai entendu des pas. Un homme, grand, vêtu d’une large chasuble noire et chapeauté se glissait entre les tombes. Son visage était invisible, seul le bout de son nez dépassait de ce qui ressemblait à une capuche. Il s’est arrêté un instant semblant chercher une sépulture. Il a murmuré quelques mots suffisamment audibles pour comprendre qu’il s’adressait à des aïeux. A aucun moment l’homme de la nuit n’a semblé inquiet, on aurait dit un habitué, sans doute un fantôme qui erre après minuit…

Lorsqu’il est passé devant mon observatoire, il s’est arrêté un long moment à tenter de lire ma pierre tombale. J’y avais inscris : « Je suis venu, j’ai vu et je n’ai rien compris.* J’aimerais bien faire encore un tour, non pour comprendre mais pour le plaisir. »

Un soir quelqu’un est venu. Il toussota, trahissant sa perplexité devant l’épitaphe avant de s’évanouir dans la nuit comme il était apparu. Je ne l’ai jamais revu. Sans doute, réalisa-t-il qu’il n’avait rien compris non plus. Au petit jour, une vieille croix avait endossé la chasuble, coiffé le chapeau, comme devenue épouvantail pour effaroucher les fantômes errants, pleins d’incertitudes. L’homme était retourné à la ville, son chapeau mou de feutre noir salue désormais les vivants…

*Rien compris au sens de la vie et à l’idée de dieu. La boucle est bouclée, je tournais autour d’une épitaphe, je pense avoir résumé ma pensée. Ce sera le dernier texte sur le sujet sans aucune certitude. Je le pense, seulement…

La nuit s’installait sur le cimetière de Lévie.

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