Mamie.

A M.P et son mari que je ne connais pas encore. Ils comprendront pourquoi en lisant ce récit.

Yves et Yvonne étaient les parents de mon épouse. Des gens généreux, aimant la vie, la pratiquant sur un mode épicurien modérato. Habitués au goût de vivre, ils finirent, très tard, des jours heureux. Lui à quatre-vingt-douze ans et elle à quatre-vingt-seize.

Ils ne rêvaient pas de Paradis mais de bonheur sur terre. Leur souhait était d’aider la science en lui offrant leur corps, finir dans un laboratoire en quittant ce monde. Une messe souvenir un jour et rien d’autre. Depuis de nombreuses années, la carte du don ne quittait plus leurs portefeuilles respectifs. Ils vivaient joyeux sans redouter le départ promis à tous.

Lui, partit un jour, sans grande surprise. Sa fille était à son chevet et savait que la fin était imminente. La science n’est jamais venue récupérer son corps à l’hôpital. Un refus laconique et froid qui laissa la famille dans le désarroi d’une surprise désarmante. Une explication eut été réconfortante. Ses proches forcés de réagir dans l’urgence et sans recul, attendaient qu’on leur expliquât cette carence. Rien ne vint éclairer ce non-respect du don connu de longue date. Aucune place n’était réservée dans aucune nécropole, aucun contact n’avait été pris avec les pompes funèbres. Papi a été incinéré sur place et ses cendres furent éparpillées dans un endroit qu’il ne connaissait pas.

Mamie devait finir ses jours dans notre village. Elle a refusé de venir en Corse préférant rester non loin de son mari dans une maison de retraite de sa région. Et puis un jour, alertée par une voisine de sa condition misérable, sa fille est allée la convaincre de venir chez nous.

Je me souviens de son arrivée à la maison. Comme une enfant maltraitée, blessée aux jambes, elle s’est réfugiée dans un fauteuil et ses premiers mots furent : « Je suis sauvée, je suis au Paradis. » Elle semblait se cacher de peur qu’on vienne la reprendre. Ces instants furent pénibles pour tout le monde.

Elle a terminé sa vie paisiblement dans la maison de retraite du village à quelques cinq minutes seulement de notre maison. Sa petite terrasse offrait une large vue de Lévie. Juste en face de la baie vitrée, elle rêvait en fixant une bâtisse isolée à flanc de colline. Elle passait ses journées à imaginer la vie de ces gens qui vivaient à l’écart du monde villageois. En faisait une sorte de fixation. Elle s’était inventé une histoire et nous racontait des péripéties imaginaires évoquant la difficulté de vivre dans un endroit aussi isolé. Dans le confort de son EPADH, elle repassait ses hivers de naguère en imaginant cette autre vie sur les hauteurs de Lévie …

Un jour, non loin du printemps, Mamie s’est envolée. Tout le monde est resté discret. Nous avons respecté sa volonté de s’en aller sur la pointe des pieds, en la conduisant au cimetière du village comme son mari était parti, discrètement. Nous étions quatre de la famille. Nous l’avons ensevelie sans grande cérémonie, en petit comité, sept personnes en tout avec les trois agents des pompes funèbres. Cela nous a valu quelques reproches émanant de personnes qui se fient à leur histoire sans connaître celle des autres.

Son arrière petite fille qui avait été tenue à l’écart de la cérémonie car trop jeune, avait entendu dire qu’elle s’était envolée dans les étoiles. Un jour, s’adressant à sa mina en secret, elle lui souffla dans le creux de l’oreille : « Mina comment elle a fait pour s’envoler ? Et si on allait la voir en cachette ? Tu sais comment voler jusque là-haut ? »
Désormais, Yves et Yvonne reposent symboliquement ensemble dans notre cimetière. J’ai fait poser un vague nuage de granit avec la mention suivante « La mort vous a séparés, cette pierre vous réunit ici dans le souvenir »

A voir leurs photos, on dirait qu’ils ont compris… et que leur bonheur d’être ensemble se poursuit quelque part ailleurs.

 

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