La ruche fonctionnait à merveille. Les abeilles ventileuses, nourricières, préposées à la propreté comme aux affaires médicales circulaient dans un mouvement parfait de sorte que tout baignait dans le meilleur des mondes possible. J’ai toujours gardé une certaine distance par rapport aux avis définitifs conclus trop tôt. Combien de fois n’ai-je félicité un plombier ou un électricien pour découvrir bien plus tard des malfaçons sérieuses, masquées. Le milieu médical n’échappe pas à la règle, surtout à la faveur d’un changement de toubib après que le vôtre ait pris une retraite bien méritée. Constater, après coup, que l’on vous a facturé une visite à domicile alors que vous aviez rendez-vous au cabinet, n’est pas une découverte très agréable ni très propice à garder une confiance naissante. Le dentiste, avec le même procédé qui vous facture deux séances distantes d’une semaine alors que vous n’y êtes allé qu’une fois. Tout cela grâce au couvert de la carte vitale. Hippocrate doit bien se retourner dans sa tombe, c’est sans doute la fin de son serment dans toutes ses assertions. Il a fait son temps.
Je me souviens d’un sujet de philo lorsque j’étais en terminale. Un prof très concerné qui a contribué largement à développer notre esprit critique, nous avait demandé de disserter sur : « Qu’est-ce qui fait qu’un homme est médecin ? » Évidemment tout le monde trouvait que le développement était tout indiqué et nous nous étions embarqués allègrement sur le cursus des longues études, la connaissance, la science… Nous fûmes surpris lorsqu’il nous proposa un tout autre regard. Sans le serment d’Hippocrate, un tel personnage farci de connaissances peut devenir le plus grand criminel de la terre. C’est ainsi que nous pûmes accéder à toutes les nuances de la fonction, médicales comme sociales avec une déontologie très prononcée. Qui se questionne sur ces petits dessous de table possibles avec la carte vitale ? Hippocrate, 2486 ans plus tard que peut-il encore ?
Nous avons un système médical et une médecine de haute volée, il faut absolument dégager les praticiens de toute contingence basse et les rémunérer à leur juste valeur. S’y atteler sérieusement pour que malaise ne s’installe dans les relations entre toubib et patient lorsque ce dernier découvre la manœuvre. La confiance est reine. Les débarrasser de toute préoccupation qui leur donne le sentiment d’être dévalorisés, ils sont la chance de notre pays en matière de santé publique.
On avait commencé à réduire fortement les antidouleurs et je n’étais plus aussi pimpant. La douleur commençait à me chatouiller sérieusement et le contrecoup opératoire se faisait sentir. Bon, c’est un passage et un passage ça se passe…
Le soir vers 18 h, une nouvelle dame pénètre dans ma chambre. Une bien brune au visage sombre et fermé à double tour. Comme une ombre, elle est venue déposer le comprimé de minuit sur ma tablette. J’ai compris qu’elle n’avait pas l’intention de me fredonner « Etoile des neiges » ni entonner « Ma cabane au Canada » pour me bercer. Bon, c’est comme ça, mais c’est dommage.
Vers 23 h, je commençais à avoir mal au genou. Une forte gêne au niveau de la rotule, les douleurs annexes jusque-là masquées par les sédatifs se réveillaient. Je ne savais plus comment me placer, impossible de m’endormir. Je n’aime pas déranger les gens pour peu de choses, je me suis décidé à sonner.
C’était elle, une nuit de mauvais temps. Encore plus sombre qu’avant (qu’est-ce qui allait lui tomber sur la tête), les yeux nuageux, l’orage au milieu du visage et les lèvres prêtes à tonner.
« Alors ?
– J’ai une forte gêne au niveau de la rotule, j’ai l’impression qu’elle n’est plus dans son logement. Elle a regardé la gouttière qui enserrait ma jambe puis déclara sur un ton monté bien haut :
– Je ne peux rien faire !
– Regardez au moins, vous savez ça me fait mal !
– Je ne suis pas médecin, vous verrez demain ! »
Là je me suis dis : « Tu ne peux pas subir ainsi avec ta voix douce, j’ai donc haussé le ton au niveau du sien : « Madame n’y a-t-il pas une autre manière de parler aux gens ? Etes-vous consciente de l’agressivité que vous dégagez ? Elle est telle que je vous parle. »
Elle a été surprise. « Au lieu de chercher à gagner votre point, si vous ouvriez la gouttière pour objectiver ? » En faisant une moue très prononcée, agacée, elle se décide à défaire la gouttière qui aurait dû être enlevée dans la journée. Elle découvre que le bord rigide de l’attelle s’était logé sous la rotule, bien serré, laissant un profond sillon… Ebahie, elle me déclare qu’elle n’avait pas compris de quoi je parlais, elle pensait au logement de la rotule dans le genou et non celui dessiné dans la gouttière. Evidemment, avec un tel blocage, elle ne risquait pas de juger utilement. Tout s’est calmé, je lui ai fait remarquer le temps perdu pour me tenir tête, que les malades sont parfois capables d’identifier ce qui les gênent. Ecouter pour chercher à comprendre conduit à remarquer que la science infuse n’existe pas.
La douceur était dans la vitrine.
Hélas Simon, pour avoir côtoyé en première année d’études supérieures les futurs médecins dont j’espérais follement être un jour confrère, je témoigne de ce que nous n’étions pas tous, loin de là, animés par l’altruisme. D’autres études et d’autres professions fréquentées m’ont fait constater ensuite que cette carence pouvait se rencontrer un peu partout et que, outre les motivations défaillantes, parfois des contraintes exogènes induisent des comportements détestables chez les meilleurs d’entre nous avant qu’ils ne se chronicisent.
On apprécierait cependant ne pas croiser trop de ces cas, surtout aux heures où nous sommes fragilisés.
Quelles idées aussi as-tu eues de courir tant par monts et par vaux jusqu’à t’user les hanches ?
A te relire.
Bonsoir Gaëtan.
Hélas, je confirme que monts et vaux, ça use les articulations. On trouve des prothèses dans les magasins, je donnerai un avis après quelques mois d’usage.
Et si d’aventure, un déséquilibre dans les dimensions me conduisait à claudiquer
j’irai par vaux et par monts. Ca doit être possible… Bonne soirée. 🙂
Cher Simon. Tu prouves par ce texte que les patients doivent être écoutés par le personnel médical. Cette Ecoute est essentielle. Personne d’autre n’est à notre place ! (Je suis passé aussi par la case orthopédie, 20 ans plus tôt, après mon accident parisien de piéton de juillet 1996 qui m’a tenu hospitalisé durant 6 mois jusqu’en janvier 1997) …Cela devrait être une Déontologie nouvelle que cette capacité d’écoute et d’empathie, pour des professions où – nous dit-on – le personnel viendrait à manquer ! On est dans le mo(n)de de l’Urgence, de l’immédiat, de la consommation rapide !… Mais quand il s’agit des urgences (médicales) on s’attend à une prise en charge plus sérieuse. L’humain avant tout. Meilleur rétablissement, Simon.
Et oui! ici le reflet de notre société ….il faut hausser le ton pour se faire entendre et parvenir a sortir tout un chacun de sa léthargie, englué souvent dans la routine de son quotidien…
Bien souvent, la surprise du ton changé, « réveille « et le rapport devient viable parfois même empathique….
Nous évoluons dans notre société endormie, qui oublie ce qu’elle à a gagner dans l’échange et la courtoisie…