Paisanu.

J’étais un assidu de la pétanque et ce jour-là, je faisais un tour du côté des séniors. On m’avait demandé de passer, histoire de jouer quelques parties avec eux pour casser la monotonie. C’était la troisième fois pour moi et j’arrivais lorsque d’autres, saturés après quelques parties, nous regardaient assis sur un banc.

Barthélémy, que j’appellerai Barth plus tard, se tenait un peu à l’écart avec sa petite chienne à la robe mitigée sable et fauve, dont j’ai oublié le nom. Mendeley , une consonance dans ce genre, me semble-t-il. Ma façon de jouer qui reflète bien ma personnalité l’avait interpellé. Il s’était enquis auprès de ses camarades de jeu pour savoir qui j’étais. Et ce soir-là, il me demanda de m’assoir à son côté. Depuis nous sommes restés amis jusqu’à son dernier souffle.

Barthélémy était corse comme moi… et d’emblée m’a voué une amitié sans bornes. Nous avions parlé une petite heure seulement. Son épouse Zinette, nous regardait tous les deux en silence et lorsque Barth s’éclipsait quelques minutes, elle en profitait pour me dire qu’ il me considérait comme un fils. A tel point qu’il se montrait protecteur à mon égard alors que je n’avais nullement besoin de protection. Lorsqu’il m’arrivait, dans des moments d’égarement, de me montrer maladroit ou de dire des bêtises indéfendables, il prenait ma défense contre tout le monde. J’étais intouchable.

Mon ami avait bien réussi sa vie, responsable d’une maison d’édition à Londres, il était retraité de fraîche date lorsque je l’ai connu. Il vivait dans un autre monde, j’évitais de me trouver en compagnie de ses hôtes habituels du showbiz. Je fuyais ces relations, ne me sentant pas très à l’aise. Il a fini par me piéger.

Un matin, sous un prétexte fallacieux, Barth me téléphona pour me donner rendez-vous chez lui vers treize heures. Le moment n’était pas suspect. En arrivant à la minute précise, je me suis retrouvé devant une tablée de gens costumés, « empapillonnés » parlant et riant très fort. Je fus présenté sur le champ en grandes pompes affublé du titre de professeur de psychologie. Il y avait là, des compositeurs connus, des paroliers, des arrangeurs dont un l’avait été pour des musiques de Johnny Hallyday… Il me les présentait mais je n’entendais rien, j’étais perdu entre paroles et musiques. Titres et compétences m’échappaient totalement. Si j’avais dû subir une interrogation écrite quelques minutes plus tard pour résumer cette rencontre j’aurais récolté une bulle. J’en voulais terriblement à mon ami de m’avoir plongé dans un tel embarras. A côté de lui, une assiette et un verre m’attendaient pour que je prenne le dessert avec eux. Une « invitation » bien préparée, il savait que je ne viendrais pas, autrement. Barth était aux anges en me faisant découvrir ses collaborateurs et me présentant à eux. Une fois tout ce beau monde parti, je lui demandai pourquoi il m’avait présenté ainsi : « Laisse-moi faire, tu le mérites, tu crois qu’ils sont mieux que toi ? » J’avais compris… c’était son envie.

Le jour de ses funérailles, je rentrais juste de Corse, je m’y suis rendu incognito, j’étais perdu dans la foule. A la faveur d’un mouvement parmi les gens, sa femme qui se trouvait assez loin, m’aperçut, me prit par la main et me dit : « Vous allez rester à côté de moi ». En entrant dans la chapelle pour gagner le premier rang, j’ai été saisi par une musique. Je connaissais cet air et cherchais à savoir d’où venait le chant : Pascal et Dominique, les deux frères jumeaux de Barthélémy se trouvaient dans un coin de l’église et chantaient, s’accompagnant à la guitare, « Paisanu o Paisanu… tu resteras toujours des nôtres… » Une chanson de chez nous importée si loin. Nous étions transportés de Versailles à Piubbeta son petit village perdu dans la Castagniccia. Des images défilaient dans ma tête. Je déambulais avec lui parmi les châtaigniers qui perdaient leurs feuilles. Les sangliers piétinaient les bogues béantes tombées de la dernière nuit pour libérer le fruit et actionnaient leurs mâchoires puissantes écrasant les marrons. La promesse d’un bon figatellu que Barth me ramenait de ses voyages au village. Quelques champignons moussus embaumaient de leur parfum humide, et l’amanite des César, très présente dans le coin, dénonçait la tue-mouche en arborant son orange éclatant sans tache et sans écailles blanchâtres. Nous étions si loin et si proches encore.

C’était notre dernière promenade dans nos sous-bois lorsque débuta la musique de la Chanson de Lara, sa préférée qui dura le temps des condoléances. Nous étions repartis par-delà les nuages, survolant des paysages neigeux dans une sorte de nostalgie et de douceur infinies. Je suis parti avec lui, ignorant le monde qui m’entourait puis la musique cessa et Barth me lâcha la main : « Va, la vie est belle… regarde, parle, souris mais souviens-toi du temps, ce temps qui voyage sans répit, sans soupir, et puis un jour, il t’abandonne là, sans le moindre état d’âme. »

barthé-002Bien des années ont passé et Barth sait aujourd’hui mais nous sommes interdits de communication. Je le vois qui voudrait me dire encore…ou alors, hilare, amusé, patient… Quelle chance ou quel dommage de ne savoir qu’après la vie ! (?) Peut-être aussi, là-bas, le temps n’a-t-il plus de sens et le silence de la mort qui ne nous apprend rien, annonce-t-il le néant ?

En attendant de savoir aussi, je savoure toute rencontre qui se présente à moi car dire « rencontre », est la promesse d’une belle aventure.

Cliquer sur l’image, c’est la seule que j’ai où on nous voit tous les deux.

 

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