Tête de veau.

IMG_3518Aujourd’hui, il faisait beau pour griller dehors… c’était un temps de côtes plates comme on dit chez nous.

Ce titre doit vous paraître surprenant ou du moins intrigant. Pour vous ôter ce doute ou, au contraire, pour le renforcer, j’aurais dû titrer « De l’éloge de la tête de veau ».

D’où m’est sortie cette idée saugrenue ? Ben, de mes gambades folles à travers les idées. Ce soir je pensais cuisine. J’adore. Et surtout, j’adore faire plaisir. C’est ce qui m’importe le plus dans la cuisine. Avoir des invités qui se lâchent pendant le repas et qui repartent en ayant envie de revenir. On me dit que j’ai raté ma vocation de restaurateur. Point du tout, je n’ai aucune envie de tomber, à plus ou moins longue échéance, dans le mercantile et changer ma nature. Si je dois compter pour équilibrer un budget, et je ne sais pas compter argent, je deviendrais malheureux. Je connais les chiffres et les nombres mais le sou, même le plus petit qui deviendra grand, me fait peur. Ça dérange des personnalités, ça vous détruit un bonhomme. Ça le rend déraisonnable, ça le transforme et parfois, ça le met fou. Je ne veux pas de ça chez moi. J’ai la paix de l’âme et de l’esprit que voulez-vous que j’aille chercher d’autre.

Cuisiner est une affaire de plaisir vous disais-je. Pour le reste, il suffit d’avoir des bases solides et de l’imagination. Je connais mes convives, il est facile pour moi de les surprendre ou de les laisser ronronner dans leurs habitudes.

J’aime la tête de veau et les amis qui en raffolent se comptent sur les doigts d’une demi-main. De deux à trois pour faire nombre entier. Alors, parfois, je pense à eux, je veux dire à moi, en les invitant pour l’occasion car il est difficile de se trouver seul en tête à tête avec une tête de veau.

Vous imaginez bien que ce plat n’existait pas chez moi durant mon enfance. Je l’ai découvert lorsque j’étais étudiant. Comme tout étudiant qui se respecte, je me nourrissais comme je pouvais. Parfois, un ami déjà installé, bien plus âgé que moi, me conviait à une escapade dans le vieux Nice chez Peppone. Pas besoin de savoir si c’était son vrai nom, il ressemblait en tous points à Gino Cervi l’acteur qui donnait la réplique à Fernandel dans la série des Don Camillo. Il était des nôtres. Bon vivant et fin cuisinier traditionnel. Nous y allions pour les pâtes et les jours de tête de veau. C’était une découverte pour moi et un régal nouveau. L’assiette était chaude, la tranche bien large, très supérieure au centimètre d’épaisseur, bien garnie en langue avec son accompagnement de sauce gribiche étalée tout autour jusque sur un bon tiers de la rouelle gélatineuse. Et le persil jeté à la volée pour mieux présenter…

J’ai gardé cette image bien ancrée dans ma gourmandise. Comme je ne suis pas restaurateur mais plutôt un personnage rabelaisien, je gribiche riche. Je veux dire que je force un peu plus sur les ingrédients. Je l’aime bien forte en persil et échalote. Je ne lésine pas sur les câpres et le cornichon émincé non plus. J’ai ma touche personnelle, une, deux, trois ou quatre giclées de viandox. Comme ça, tchac tchac tchac ! Et certains le remarquent si je n’en mets pas. Mes tranches plutôt bien cuites ne sont pas un modèle de tranchage, coupées à chaud au sortir du bouillon ce n’est pas facile. J’imagine que notre Peppone devait la sectionner à froid et réchauffer ses portions beaucoup plus présentables.

Cet automne dernier, je séjournais à la ville, j’étais bastiais pour quelques jours. J’ai passé une commande par téléphone dans une boucherie plutôt bien achalandée. Les clients faisaient la queue jusque sur le trottoir malgré les trois bouchers de service. Une première pour moi qui ai découvert ce commerce en passant.

  • Allo oui, bonjour ! Auriez-vous par hasard de la tête de veau ?

  • Non monsieur, sur commande seulement.

  • Serait-il possible d’en avoir deux pour vendredi ? (Le jour du retour chez moi)

  • Deux ? Combien serez-vous à table ?

  • Deux ou trois.

  • Mais monsieur, deux têtes de veau c’est pour une quarantaine de personnes, c’est beaucoup.

  • Ah bon ? Je vous en commande une, alors.

  • Comme vous voulez. A vendredi.

Le jour venu, ma tête de veau était prête. Je ne savais pas qu’une tête de veau c’était de la mathématique. En fait, avec une, j’en avais deux roulées. Deux de belle taille, environ quarante centimètres et donc en les coupant cela m’en faisait quatre à congeler pour les jours visés. Le boucher m’a expliqué que c’était une variété de Limousine et que je me régalerai. D’ordinaire, lorsque j’en achète déjà coupée dans le présentoir d’un supermarché, les parts sont moins grosses et plus courtes, c’est cela que j’appelais tête de veau. C’est un langage de client pas de boucher. On apprend des choses en approfondissant le vocabulaire du tripier. Eh oui, le boucher n’est pas tripier normalement et donc dans sa commande, c’est la pièce entière qu’il faut emporter. Je n’ai rien regretté, ce furent des instants de plaisir goulu. Il m’en reste une belle part. J’attends le bon moment pour la partager.

Aujourd’hui, j’ai voulu vous promener du côté de la cuisine, vous sentez cette odeur de bouillon ? Oui, vous avez bon odorat, il y a du céleri, c’est lui qui domine dans cette vapeur qui embue les vitres. Vous avez deviné, il y a aussi des clous de girofle piqués dans un oignon dont le parfum se trouve emprisonné dans ce fumet de vinaigre de vin vieux qui acidule l’atmosphère… Voila, vous êtes prêt pour goûter la tête de veau même si cela ne vous semble pas trop engageant. Allez, laissez-vous tenter ! Non ? Bon ben… dommage !

Aujourd’hui, ce n’était pas jour de chrysanthèmes mais ne vous inquiétez pas, un de ces quatre on retournera dans un cimetière… il y a tant de trucs à se dire sur tous les versants de la vie et en passant entre les tombes on voit mieux les choses d’ici-bas… On ne va tout de même pas se prendre la tête et gribicher* pour quelques grammes d’embonpoint avant de déguerpir !

*Gribicher n’existe pas vous vous en doutez, alors je l’invente pour qu’il existe aussi… désormais par ma volonté, il sera synonyme de « se prendre la tête ».

1 Comments

  1. Quel plaisir de te lire, Simon ! Et de voir, encore une fois, évoquée la joie de vivre ! …et la bonne ripaille, en ce royaume d’Epicurie qu’il faut savoir découvrir ici-bas !

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