Au temps où les Game Boy n’étaient pas encore en gestation.

En ce temps-là, l’école primaire faisait le plein. Nous étions très nombreux et la cour de récré fourmillait de vie comme le village s’égayait du cri des martinets à l’entrée de l’été, cerclant inlassablement le clocher de leur farandole incessante.

Les « fin d’études » plus âgés que les enfants du primaire, rejouaient la scène di « A tumbera’ » (On tue le cochon).
Parfois, ils partaient en battue au sanglier, dès la sortie dans la cour de récré et la jouaient à la perfection.

Pierre qui imitait le cri du suidé mieux que personne avait choisi le rôle du solitaire poursuivi par une meute de chiens, un rôle parfaitement maîtrisé.
Il fuyait devant ses poursuivants en grouinant, se retournait de temps en temps pour faire face aux canidés pendant que les chasseurs, des écoliers plus charpentés que les autres, donnaient de la voix pour encourager les bêtes.
A l’autre bout de la cour, les maîtres, bras croisés, suivaient la battue et riaient.
Il s’en fallait de peu pour qu’ils se mêlassent à la bagarre. Un élan, un mouvement soudain trahissait leur envie de poursuivre aussi la bête noire. C’était amusant car d’ordinaire, ils interdisaient les jeux violents.
Assez rapidement, Pierre se retrouvait acculé dans un coin. La cour avait ses limites et même si les poursuivants temporisaient pour prolonger le plaisir, la récré ne s’éternisait pas, il fallait conclure.
Le plus téméraire des chasseurs l’empoignait par le pied, le tenait fermement en veillant à ne pas endommager le jambon. Avec l’énergie du désespoir et l’instinct de survie bien chevillé à l’âme, Pierre se débattait comme un beau diable. Dans un geste brusque mais précis, les autres rabatteurs le retournaient pour le placer sur le dos puis le saigneur qui attendait patiemment, plantait son poinçon exactement à l’endroit du cœur. Les cris porcins s’intensifiaient un instant et la bête rendait l’âme. Tous les gestes depuis le brûlage des soies jusqu’au dépeçage pouvaient commencer… Les commentaires s’animaient juste après la sonnerie avant de faire silence dans les rangs.
Ce faisant, les enfants mimaient « on tue le cochon » en simulant une battue. Peu leur importait l’exactitude des faits, le mélange de deux scènes différentes les ravissait.

A l’autre bout de la cour, Jean Pierre était maintenu plaqué contre le mur. Quatre sbires menaçants le coinçaient, la tête relevée par une pression sous le menton, il regardait le ciel. Il bombait le torse, tirait ses épaules en arrière pour bien offrir sa poitrine puis d’une voix étouffée, à peine audible, il débitait le poème d’Aragon fraîchement appris le matin :

Et s’il était à refaire
Je referai ce chemin
Une voix monte des fers
Et parle des lendemains…

Jugeant qu’il n’avait pas suffisamment affiché son courage devant la menace de ses bourreaux, il en rajoutait une salve à voix plus forte et plus affirmée.

On le torturait, on le pinçait, on lui tirait les cheveux, on lui tordait les oreilles… Il recevait des claques… Imperturbable, Jean Pierre récitait avec un réalisme époustouflant, sans rechigner et sans aucune faiblesse, « La ballade de celui qui chanta dans les supplices ».

La cour était vivante, un vaste théâtre où l’on rejouait les scènes ordinaires de nos campagnes, où l’on donnait vie aux apprentissages scolaires.
Des pièces de théâtre préalablement scénarisées que les écoliers revivaient, animaient pour meubler la récré, sacrifiant le sempiternel jeu de billes.
Aujourd’hui on plonge dans le fictif d’une Game Boy qui isole du réel pour mieux se couper de l’ici et maintenant.

Ces deux camarades sont partis, quelques années déjà, peut-être refont-ils ce chemin dans l’au-delà pour épater l’autre monde.
Levie mon village qui rime si bien avec vie…

Toute ressemblance avec une séquence actuelle n’est que pure coïncidence…
C’était plus soft et maitrisé.

Photo en titre, une classe de fin d’études, il y a environ 65 ans.

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