Elevé à l’huile d’olive…

Je peux presque dire que j’ai baigné dans l’huile d’olive une bonne partie de mon enfance et de mon adolescence lorsque je vivais chez tante Marie.

Elle tenait à sa jarre comme à la prunelle de ses yeux.
Un producteur local venait tous les ans reconstituer le stock, deux fois les années gourmandes.
Cinquante litres d’huile d’olive pour elle toute seule mais elle était très partageuse.
Que le voisinage vienne à en manquer, il suffisait de débarquer chez elle avec un bol pour s’en procurer… En voyant le bol à la main, tante comprenait instantanément et se dirigeait vers sa réserve postée dans un coin sombre de la cuisine. Une histoire sans parole.
La louche, posée sur le couvercle finissait de s’égoutter, l’imprégnant fortement d’arômes oléagineux. C’était une plaque de chêne, vaguement circulaire, lestée d’une brique réfractaire pour la maintenir en place.
Ce partage seulement induit par la vue du bol vide, engendrait automatiquement la pratique du troc. Le sel, l’œuf, l’oignon, la tomate, le café torréfié dans les chaumières… tout circulait ainsi dans le quartier qui vivait dans une sorte de synergie, tu me donnes ça, je te donne ça. C’était plus que du troc, il y avait dans cette pratique, la conscience que la vie avait besoin de partage, de bienveillance avec les voisins pour exister en toute harmonie. Personne n’était oublié, chacun mangeait à sa petite faim, on ne faisait bombance que les grands jours rythmés par la religion, Noël et Pâques, les jours des récoltes, de la tonte des moutons ou du cochon.

Les goûters dont on raffolait vous paraitront surprenants. Les enfants les découvraient un jour à contre cœur, parfois forcés, et finissaient toujours par adorer.
Lorsque la soupe aux légumes du jardin et aux herbes sauvages mijotait longuement sur le trépied dans la cheminée, tante trempait de gosses tranches de pain rassis pour les imprégner de jus et les ramollir. Sorties à l’écumoire et posées dans une assiette, elles étaient salées, poivrées puis arrosées d’une demi louchée d’huile d’olive. Une huile souvent corsée, qui se manifestait en engendrant une petite toux lorsqu’elle franchissait le fond du gosier juste avant le toboggan œsophagien.
Grand-mère de la Navaggia faisait les meilleures soupes, ses tranches de pain étaient à la fête, enrubannées de feuilles de poireau, de pissenlit, elle était ma favorite pour ce genre de quatre heures.

En plus de l’accompagnement culinaire, l’huile d’olive servait à alimenter la veilleuse à lumignon posée sur la cheminée pour accompagner les photos d’ascendants disparus, des absents partis sur le continent ou au service militaire.
A « tirer le mauvais œil » aussi.
Pour cette opération dont tante gardait le secret, elle larguait, dans une assiette creuse remplie d’eau, quelques gouttes d’huile prélevées dans un verre en trempant son auriculaire. Avec le plus grand sérieux, elle interprétait le positionnement de ces « yeux » surnageant, censés lui révéler l’origine du mal avant de le chasser avec quelques incantations. Très souvent, cette pratique permettait de désigner le responsable du désagrément, celui qui avait jeté le mauvais œil. Un responsable désormais regardé d’un très mauvais œil aussi, on l’éloignait du mal en lui faisant discrètement les cornes avec ses doigts. Rendez vous compte à quoi menait l’huile d’olive au pouvoir devin.
Pourquoi pas l’huile d’arachides ou de tournesol ? Sans doute peu efficaces, ces huiles n’y connaissent rien à nos affaires, Arachide et Tournesol sont des étrangers.
Souvent la guérison intervenait spontanément y compris pour ceux qui n’étaient pas signés, cela entretenait le mystère pour les inconditionnels de l’épreuve de l’assiette.
Mais ça ne marchait pas à tous les coups. Alors, il fallait renouveler la recherche avec une autre mèche de cheveux prélevée sur la personne en souffrance. Tante la glissait sous l’assiette afin de se reconcentrer sur l’individu frappé par le mal.
Les maux mystérieux, comme les plus banals, étaient ainsi traités.

Outre la cuisine, les usages du précieux liquide étaient multiples, des qualités émollientes à celles calmantes.
Je me souviens, une année, j’avais botté dans une vieille boîte de sardines qui traînait dans les fougères. Bien mal m’en prit, elle abritait un nid de guêpes qui ne tardèrent pas à se révolter. Elles n’eurent aucun mal à démasquer le coupable et s’en prirent à mon cuir chevelu. Elles m’infligèrent une multitude de piqûres jusqu’à gondoler la surface de mon crâne. J’ai eu droit à une bonne louchée d’huile d’olive sur la tête, suivie d’une friction énergique pour calmer la douleur et atténuer l’effet de l’agression. Je me suis aperçu par la suite, à l’occasion d’autres piqûres, qu’aucune manifestation sévère n’intervenait en réaction à ce venin.
Je me portais toujours volontaire à la destruction d’un nid qui se formait dans un endroit trop fréquenté, bien souvent sans aucune protection. Peut-être avais-je été immunisé ce jour-là ? Je ne m’avancerai pas sur ce terrain, je n’ai aucun argument pour l’affirmer.

J’ai donc mariné une grande partie de mon enfance dans l’huile d’olive.
Je suis resté fidèle au jus du fruit de l’olivier et j’avoue avoir une préférence pour l’huile qui marque son passage, qui fait tousser, à la limite du rance. Celle de tante Marie était très forte, revenait dans la même jarre de sorte que la nouvelle s’imprégnait des restes de l’ancienne et se corsait avec le temps.
C’est sans doute la raison de ma préférence.

Je cuisine toujours à l’huile d’olive comment voulez vous qu’il en soit autrement ?

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