En ce temps-là…

En ce temps-là, nous n’imaginions pas encore les progrès actuels cela va de soi, et nous ignorions les effets pervers qui les accompagnent inévitablement.

Nos parents, les miens j’en suis sûr, naviguaient à vue au gré de revenus incertains.
Le portemonnaie ne chauffait jamais, il n’y avait pas beaucoup de carburant. Il s’entrebâillait pour choper une piécette…
Un coup père arrivait avec son pécule gagné à bêcher les jardins des autres, à terrasser un endroit du village. Son job officiel, dirait-on aujourd’hui, c’était spazzinu.
Balayeur des rues, titulaire comme disait maman, titulaire c’était un sacré grade, très important pour elle. Assuré de garder son travail qui lui rapportait 5 francs par jour.
Il commençait tôt et finissait assez tôt aussi. Sa deuxième journée commençait en allant défricher ou bêcher le champ des plus fortunés.
Mère faisait des heures de ménage, travaillait l’été dans une épicerie à laver les verres de yaourt pour leur réutilisation, faisait la plonge à la Pergola. Toutes étaient assez généreuses avec maman, Joséphine, Traianina et les autres. Rosalie les portaient aux nues.
Elle rentrait avec des repas en quittant le restaurant, avec des bananes dont je raffolais, des poires Williams, des yaourts et bien d’autres victuailles en sortant de l’épicerie. Lorsque je la voyais arriver chargée de nourriture très variée, j’étais content, c’était cocagne à la maison.
Le plus difficile était de faire ses courses avec le peu d’argent qui rentrait et restait très incertain.
Le docteur Mela passait, parfois très tard vers minuit et repartait sans prendre d’honoraires, il connaissait la condition de chacun. Un coup on payait, un coup il filait sans rien demander.
S’il entendait tousser dans la chambre, il auscultait pour ne pas revenir s’il soupçonnait une contagion.
François le dentiste disait à ma mère :
– Envoie les enfants !
Je n’ai jamais su comment mes parents payaient, je lui dois d’avoir encore presque toutes mes dents…

Pour les courses donc, c’était des achats à tempérament. Il y avait des listes de dépenses dans les épiceries et le marchand d’habits. Jamais personne ne m’a interpellé, c’était parfois entendu : « Dis à ta mère de passer me voir ». Tout le monde savait ce que cela signifiait.

Lorsque je dus meubler ma maison, le marchand d’électroménager m’avait ouvert le choix : « Prends ce que tu veux et on s’arrangera » C’est même lui qui m’a conseillé pour que je ne reste pas sur les freins.
J’ai pris ce qui m’était utile pour toutes les pièces et nous nous sommes entendus pour le reste, sans signer aucun papier. C’était juste, pour lui, une prise de risque sur parole.
Lorsque j’ai payé le dernier versement, je lui ai adressé un courrier de remerciement pour clore notre entente.
Ce fut parfait, comme chez les indiens, comanches, cheyennes, apaches ou sioux, nous avions pactisé en menant le « tope la » à son terme.

Voilà pourquoi, j’aime ce temps-là, ce passé qui éclaire et guide encore ma conduite.
Aujourd’hui je regardais un jeune les yeux fixés sur son portable, le chemin était très étroit, une seule personne avait passage. En face de lui, une vieille dame qui avait sans doute franchi la quatre vingtaine a dû se déporter sur la route, le gamin ne l’avait même pas calculée, il a poursuivi tête basse.
L’éducation, l’altérité, la bonne conduite et tout ce qui concerne le vivre ensemble m’a paru, à cette triste vue, affaire d’un autre temps, ce n’est plus ou très peu d’actualité.
Pourvu que l’on ait les yeux rivés sur l’ailleurs, l’ici et maintenant s’efface.

Des docteurs Mela, Maestrati et tous ceux de naguère sont une race éteinte.
Les anciens des villages ont du souci à se faire, heureusement il faut rendre hommage aux pompiers, espérons que cette porte de secours perdure encore longtemps…
Pin pon ! Pin pon ! Au secours, Simon évoque le passé ! Qu’il est bête !
Notre beau pays, dit des lumières, semble devenir celui des lumières éteintes.
Eteignez vos lampions, ce n’était pas mieux avant, y a rien à voir !

En ce temps-là, j’avais dix ans.
Le docteur Maestrati et sa famille « dimanchaient ».
Mes grands-parents fêtaient Noël au coin du feu.
Rinaldu, le tailleur se faisait photographier avec mon père.
Père écoutait le vieux Trajan.
La procession démarrait son tour de village.
Abdou et sa famille parlaient corse comme nous.
A la Saint Laurent, on tenait comptoir et les Bimbo chantaient…
Antoine Crispi pouponnait.
Les paroissiens partaient en pèlerinage.
Jaby était dubitatif.
Et papa balayait les rues du village…

Si vous n’avez pas reconnu les deux personnes sur l’image en titre, il s’agit d’Auguste Marenghi et Jaby de Peretti.

PS. Ces images sont signées automatiquement par l’ordi, évidemment, je ne suis pas le photographe, j’étais bien trop jeune ou pas encore né.

2 Comments

  1. Les années passent… tes merveilleuses photos ont le don de nous ramener dans la nostalgie.

    1. On y est bien si j’en juge par les lectures nombreuses depuis que j’ai abordé ce thème.
      Encore un peu et je reviens aux fondamentaux du blog.
      Merci, bonne journée à vous deux.

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