Que dieu te bénisse.

Le mois de juin était dans son dernier tiers bien entamé.
Le ciel d’un azur parfait célébrait les rayons du soleil au meilleur de son dardant.
Les châtaigniers paradaient avec leurs chatons jaune citron en multiples cascades.
Très haut dans le bleu primo estival au plus pâle de son azur, quelques martinets pilotes de chasse bien mécanisés, zigzaguaient en une folle farandole, dessinaient des pointillés tout en spirales, loopings et lignes brisées.
D’autres, moins aériens, zébraient l’air bien plus bas, les ailes en faucilles, rasaient les châtaigniers, lançaient des cris stridents. Ils jouaient à se faire peur en plongeant vers le sol, poussant des sifflements aigus puis se fuselaient dans un mouvement ascendant pour reprendre de l’altitude.
C’était un va et vient perpétuel, des chutes et des remontées incessantes comme s’ils n’avaient que ça à faire durant toute la journée.

J’avais huit ans, j’adorais courir dans les fougères qui m’arrivaient jusque sous le menton ; le parfum de l’immortelle chauffée par le soleil ardent se répandait au ras du sol pour mieux chatouiller les narines par petites vagues que la chaleur montante véhiculait.

L’été venait de débuter à peine, je profitais de ce passage du côté des porcheries situées à deux cents mètres environ de la Navaggia pour batifoler dans les herbes et célébrer avec mon frère la fin du printemps. Nous venions nourrir les cochons, un moment enchanté qui nous poussait à explorer les environs.
Malgré mes spartiates très peu protectrices, j’adorais shooter dans les boîtes de conserves qui traînaient un peu partout. A l’écart des habitations, l’endroit servait de décharge sauvage avec des entassements par zones modérément encombrées. Je venais de repérer une boite de petits pois qui se prêtait facilement au coup de pied en présentant son flanc bombé. J’arrivais dans la foulée de la marche et sans marquer de temps d’arrêt, visant les buts entre deux fougères plus hautes que les autres, je tentai une lucarne imparable. Instantanément, une colonie d’une bonne vingtaine de guêpes qui avaient élu domicile dans la vieille boîte, se révolta.
En quelques secondes, ma coiffure était envahie par la petite nuée qui, dards au clair, piquait frénétiquement l’ensemble de mon cuir chevelu. Avec l’aide de mon frère qui tambourinait mon crâne en même que moi pour écraser ou écarter les attaquantes, je réussis à me débarrasser des importunes après un combat de calottes contre coups d’aiguillons.
Dans la minute qui suivit, j’avais le sommet de la tête gondolé, nous filâmes sans attendre vers la maison, tous les deux plongés dans une inquiétude profonde.

Très rapidement, on me dirigea chez Zia Maria-Antonia, une vieille dame du quartier, « spécialisée » dans les piqûres d’abeilles.
Dans sa cuisine, qui n’a jamais connu la lumière du jour, trônait une jarre remplie d’huile d’olive sur laquelle reposait un couvercle circulaire en bois, lesté d’un gros galet. C’était l’endroit de ses consultations médicales. Elle plongea une louche dans le liquide oléagineux et la versa d’un seul floc sur ma tête puis se mit à frictionner sans délicatesse. Elle massa longuement cherchant à faire pénétrer l’onction puis dans un langage ésotérique proféra quelques incantations durant une bonne poignée de minutes.
Des mots mystérieux survolaient mon crâne à mesure que le massage se faisait plus doux.
Miraculeusement, je m’en souviens très bien, la douleur s’estompa assez rapidement et je n’eus aucune réaction cuisante durable. Pas de fièvre et très peu mal à la tête. Je n’ai gardé aucun souvenir de souffrance.

Depuis lors, j’ai été piqué plusieurs fois par des guêpes et à part une petite boursoufflure insignifiante, je n’ai jamais connu plus grand désagrément. Sans doute, ce jour d’assaut intensif ai-je été immunisé à vie. Peut-être ai-je eu beaucoup de chance aussi de ne point être allergique à ce venin de vespidés.

Les vieilles dames du quartier apprenant la nouvelle qui avait inquiété mon entourage, me tapotaient la tête avec leurs doigts comme si elles touchaient le pompon d’un marin. Peut-être, en agissant ainsi, prenaient-elles leur part d’immunité sur un crâne protégé des Dieux, en me lançant :
–  Chi Diu ti binidiga !  (Que Dieu te bénisse !)
C’était sans doute déjà fait.

J’ai gardé le souvenir du ciel bleu, des châtaigniers en fleurs et des martinets. Durant quelques années, chaque fin de mois de juin, je faisais un tour du côté des porcheries.
Elles n’existent plus aujourd’hui et l’endroit est devenu inaccessible totalement envahi par les ronciers.
Je m’y rends en pensée comme une sorte de pèlerinage mémoriel annuel, me souvenant du décor d’alors. Tant d’années plus tard, je me vois encore en culottes courtes, les sandales usées, leurs brides ballantes menacent de me déchausser, gare aux orteils…
Les guêpes devenues plus citadines, attirées par les grillades, gîtent désormais tout près des maisons.
Elles affrontent d’autres combats à coups de raquette électrisée. on n’arrête pas le progrès.
Les martinets martinent toujours et les guêpes dardinent encore allègrement… 😉

Ci-dessous, les syrphes, variétés de mouches qui ressemblent à des guêpes.
Facilement identifiables en regardant la tête (de mouche) notamment.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *