« Je vous ai apporté des bonbons. »
Cette pratique du sucre-mot se retrouve de temps à autre dans mes écrits.
Contrairement au barbarisme et au néologisme, ces vilains mots, le sucre-mot est une création spontanée pour les besoins d’un effet frais, agréable et léger, gouleyant si vous imaginez un vin. Souvent, l’ajout d’une lettre au bon endroit d’un terme banal suffit à lui donner une touche fleurie. Le mot fond, coule puis se moule sur la pertinence d’une expression en opérant une sorte de soudure douce entre forme et fond. La construction nouvelle est parlante, son sens implicite devient intuitif et se passe d’explication. Ce que je nomme sucre-mot restructure un café brut pour changer son caractère, pour le sublimer, lui donner un goût plus agréable, cherchant à rendre plus caressant le moment que nous passons ensemble. Evidemment, le plaisir est dans l’opportunité, dans la grâce, dans l’effet soudain, la surprise, l’inattendu. Un ou deux par texte suffisent. Un usage intensif produirait la sensation inverse, l’écœurement. L’excès nuirait au sourire de l’instant. Ces vocables nouveaux sont strictement personnels, ils ne s’utilisent qu’une ou deux fois seulement. Leur existence est éphémère, volatile comme un sucre-canard se sublime sur la langue en déposant ses effluves alcoolisés sur la voûte palatine avant d’embaumer les fosses nasales. On garde le souvenir de leur saveur avec la probabilité très faible de les rencontrer ailleurs. Généralement, je les oublie dans leur structure inédite, et s’ils me reviennent un jour, c’est que l’idée s’impose et je repose mon sucre-mot comme une rose, mine de rien. Des mots inventés pour le goût et le plaisir des choses.
Jamais, je ne me prépare à ce jeu. J’écris sur une vague idée qui me titille et dont j’ignore où elle me conduira. C’est le sucre-mot qui vient à moi, s’offre d’office sans demander mon avis. Une lettre surprise comme un grain de beauté apparaît dans le coin d’une syllabe proposant un autre visage. C’est lui qu’on regarde et qui fait dire souvent : « Comme ça lui va bien ! C’est joli, c’est mignon et ça parle ! » Certains n’aiment pas les grains de beauté, c’est bien leur affaire.
On pourrait dire que ce sont des mots évanescents, des mots magiques qui partent en fumée mais pas des mots kleenex. S’ils n’ont servi qu’une fois, ce côté périssable en fait toute l’originalité, n’évoquant jamais la vilaine idée de jetable.
Enfin, comment comprendre le « titre » ? Deux substantifs accolés pour le sens suivant : « ce mot est un sucre ». L’idée d’ajouter des « lettres épices » pour exotiser un mot existant, édulcorer ou enrichir son sens en dégageant une « nuance surprise » du terme original. Parfois, le sucre-mot n’a pas de support connu, l’espèce est nouvelle, sa création soudaine tombe sous les sens comme « évocative » .
Exemple : « Tarabisoulesque » pour extrêmement surprenant, ou compliqué à l’extrême, un effet qui tombe sous les sens dans le contexte précis d’une phrase : « Ta proposition est surprenante, complètement folle, que dis-je ? Tarabisoulesque ! »
Voici quelques exemples pour vous permettre de comprendre. Ne vous attendez pas à un catalogue, ce n’est pas possible. Ils naissent dans un contexte, poussent sur un substrat particulier. En faire une liste serait un sacrilège, une imposture. Ces mots n’existent pas, ils s’auto-créent au fil de la plume (ou du clavier) comme une écriture automatique qui vient d’ailleurs. Puis disparaissent.
Voici donc, avec, en tête, le tout premier terme que j’ai inventé et qui m’a donné le goût du sucre-mot.
Avec cette magnifique journée passée en agréable compagnie, il s’était totalement requinclé.
(Se requincler est plus complet que se requinquer. Le grelot qui tinte à la fin du mot apporte une note plus joyeuse au bonheur de se refaire une santé)
Affalé, moulé dans son sofa, le nez et la bouche chocolatés de mousse fraîche, le regard aux anges, Romain était tout à son flaisir. (Un plaisir fluide, perceptible qui coule et glisse comme du chocolat chaud)
Sa femme, la cinquantaine bien sonnée, toujours en joie, était encore plimpante. (Bien potelée, gaie, vivante et engageante)
Encore sous le charme de la donzelle, Julien se montrait tout émoustillé, bien emmusqué au moindre mouvement effluvescent. (Ses envies se percevaient à ses odeurs masculines tout en musc, le mouvement diffusait ses effluves entêtants)
Dans cette atmosphère glauque, une masse sombre flapotait laissant une impression à la fois pesante et légère. (Une masse qui ondule en bloc comme une gélatine)
Pour garder ses ouailles, le curé s’était inventé un nouveau sacerdoce et messoyait à longueur de semaine. (Facile à comprendre)
Immobiles face à face, les regards plantés yeux dans les yeux, ils étaient amants devenus aimants, elle le nud et lui le sord… ils avaient perdu la boussole. (Comme l’aiguille aimantée d’une boussole qui s’affole et s’embrouille entre sud et nord)
Avec la canicule, la rivière d’ordinaire si vive avec son clapotis joyeux, glapotait puis flapotait avant de s’endormir sous la chaleur écrasante abandonnant toute une faune à l’agonie…
Voilà, changez de phrase,
soufflez dessus et ces mots n’existeront plus. Comme le saccharose, ils fondent
et disparaissent sous la langue laissant un petit goût agréable, quelques
fois légèrement fruité.
Vous voyez ? Qu’en disent vos papilles ?
*Ces phrases ont été inventées sur le champ pour les besoins de la cause. Dans un texte, le processus est différent, l’intention de départ n’existe pas, c’est un peu l’organe (le texte) qui engendre la fonction (sucre-mot) ou exactement l’inverse c’est à dire « l’organe-mot » créé la fonction « sens-texte » à vous de voir… L’imagination fertile s’en donne à cœur-joie.
Vous en prendrez encore un peu ?
Ô Simon !… Ces néologismes poétiques sont sublimes et ouvrent de nouveaux horizons, car aussitôt s’y associent des images inattendues !
Un petit bijou, ce texte! On savoure les trouvailles, c’est une langue comme un jardin qu’on cultive, parfois y poussent ça et là une petite fleur inattendue ou des plantes aux formes biscornues, étonnantes, au goût inimitable.
C’est exactement cela vous l’avez parfaitement résumé.
Encore merci, tous vos sens sont en éveil 🙂
Encore un très joli texte ! (mais à force de me répéter, il va maintenant me falloir utiliser des sucres-mots pour les qualifier et ne plus utiliser les mêmes termes à l’infini !)
Je trouve dans les sucres-mots que tu as utilisé ici du moins, quelque chose comme un son, qui donne une résonance supplémentaire à la phrase et qui la rend chantante, légère…
Je m’absente qq jours et serai sans ordi, donc la suite au retour !
Bon week end au jardin !
Bonne évasion, si c’en est une 🙂