Carmelu.

C’est ainsi qu’on le nomme affectueusement.

Le terrain pentu au printemps. Le jour où je me battais contre les herbes et lui passait parfois sur le chemin… (Cliquer sur les photos)

Hier, premier lundi d’octobre, je piochais sur le flanc de mon jardin pentu. Je préparais une petite parcelle pour planter des fèves et des petits pois. Je continue ainsi à réaliser d’étroites mais précieuses terrasses. Le terrain sera plus facile à nettoyer au printemps, les pieds seront à plat et non hors d’aplomb sur la forte inclinaison. C’est plus commode.

J’étais donc affairé lorsque, en contre-bas sur le chemin en terre battue et rebattue par les pluies récentes, quelqu’un me faisait des grands signes. Carmelu, sans doute attiré par le bruit des coups de pioche, semblait battre la mesure mollo mollo avec ses deux mains pour me signifier d’y aller calmos. Pianu pianu comme on dit chez nous. Un instant, j’ai pensé au Bolero de Ravel en mesure moderato sans aller jusqu’au crescendo. Assez loin l’un de l’autre pour s’entendre, nous dialoguions par signes comme si nous étions entrés dans un sketch pour sourds et muets.

Cela faisait un moment que je ne l’avais rencontré. Juste après son départ, je me suis souvenu… et j’ai écrit ce texte.

Cet homme a toujours affiché la bonhommie sur son visage. Je ne l’ai jamais croisé sans son éternel sourire apaisant d’homme plein d’attention et d’humanité. Pourtant, il a trimé dans sa vie de maçon. De son temps, les grues et les échafaudages qui se montent comme un lego n’existaient pas par ici. Il était équilibriste sur une planche pour construire et crépir les maisons. Le soir en rentrant chez lui, son teint était grisaillé et ses cheveux encore bruns semblaient enfarinés. A force de vider les sacs de ciment, cils et sourcils s’étaient chargés de poudre gris tourterelle ou gris colombin du « cimento », comme il disait. Malgré ses journées à rallonge, jamais il ne se départait de ce rayon de bonté qui adoucissait son visage pourtant fatigué. Lorsque l’on s’arrêtait pour discuter un peu avec en préambule l’incontournable « Ça va ?», aucune plainte ne sortait de sa bouche. Il souriait et réservait ses souffrances à l’intimité de son foyer.

Je le regarde parfois se promener sur mon chemin. Tantôt la tête basse, tantôt les yeux qui scrutent le paysage avec acuité. Les pensées plongées dans le passé avec un sourire très marqué. Il se remémore les multiples « va et vient » qu’il fit là lorsqu’il construisait ma maison. Ses yeux émerveillés lui livrent les grands changements depuis qu’il n’était plus passé par ici. C’est lui qui me l’a dit, un jour. Sa mémoire est fidèle, il me rappelle le plaisir qu’il a eu à construire ma cheminée, à l’ancienne. Il ne s’attarde pas trop. Il repart la tête légèrement inclinée pour fouiller encore un peu dans ses souvenirs… et semble heureux.

Cet homme qui me fait penser à mon père dégage une telle humanité et un tel plaisir à vous rencontrer qu’il a définitivement toute ma sympathie.

Carmelu, l’homme qui sourit tout le temps, que je nommerais volontiers monsieur sourire. Un homme discret et que l’on remarque pourtant.

La vie se joue dans bien des chaumières sans que l’on sache toujours qu’elles portent la signature de sa truelle. Une estampille que je n’ai pas oubliée.

Ce matin, je l’ai rencontré à Propriano, il souriait encore…

Made in Carmelu.
Il y a trente cinq ans.

1 Comments

  1. « ..son éternel sourire apaisant d’homme plein d’attention et d’humanité. ..pourtant il a trimé dans sa vie de macon »..
    La même humanité dans votre beau texte, peinture animée de la rencontre d’un homme qui n ‘exprime jamais de plaine publique et « qui repart, la tête légèrement inclinée …et semble heureux. »
    J’ai bien aimé.

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