Gloires et désillusions.

Tout est parti d’une maladresse, sans doute.
C’était dans les Yvelines.

Une inspectrice arrivait dans la circonscription et très vite sa réputation s’étendit à toutes les écoles du coin. Une sorte d’Attila de l’inspection faisait des ravages parmi les instituteurs et les institutrices de la contrée.
J’ai vu des enseignantes de cinquante ans pleurer, tant son passage fut dévastateur. Elle pinaillait et sombrait dans une rage folle si la maîtresse ignorait le nombre de cubes qu’elle avait dans une boîte. Beaucoup de notes étaient baissées, les directrices et directeurs tremblaient dans leurs bureaux s’il n’étaient capables d’expliquer une loi obscure rangée derrière les fagots. Elle cherchait noise dans les moindres recoins.
La surprise était générale.
La missi dominici envoyée dans les campagnes pour vérifier si le capitulaire de l’Education Nationale était bien respecté, des enseignants priaient pour qu’elle ne débarque dans leur classe et auraient bien brûlé un cierge au pied de n’importe quel saint afin d’être épargnés d’une visite.
Un jour, j’étais invité à me rendre dans son bureau pour faire connaissance. Elle venait de lâcher une contre-vérité concernant les enfants en difficulté, à mon sens. J’eus l’outrecuidance de le lui signifier. Elle dressa son index rageur sous mon nez en m’invitant à quitter son bureau et rejoindre mes bases sur le champ, avec cette menace :
– Un de ces quatre matins vous aurez de mes nouvelles !
Etais-je la prochaine victime ?
Je n’ai pas attendu longtemps pour le savoir.
Elle se présenta un matin très tôt, avant l’entrée des élèves et m’annonça son inspection. J’assurais des rééducations individuelles, elle était au fond de la salle et prenait des notes.
Elle se rapprocha pour voir de plus près et se mit à expliquer quelque chose à l’enfant que je suivais. Je l’ai arrêtée, en disant qu’elle faisait fausse route. Décidément, j’alignais les maladresses avec celle qui n’admettait aucune contradiction.
Elle retourna au fond de la salle sans rien dire, bien décidée à me remettre à ma place, pensé-je…
J’ai poursuivi mes rééducations jusqu’à midi. C’est à ce moment que commença l’entretien qui dura jusqu’à 14h30. Jamais une inspection ne fut si longue, généralement pliée en moins de deux heures. Nous étions ensemble depuis 8h30. Je redoutais un massacre annoncé.
Je m’attendais à me faire remonter les bretelles, à m’entendre sonner les cloches et peut-être passer sous l’échafaud…
Que nenni, rien de cela. elle se montra très douce et très étonnée. Elle m’ordonna presque de quitter ce poste pour me consacrer à la recherche, en disant qu’on avait besoin de moi dans ce domaine. Ma place était à la formation des adultes pour élargir les interventions auprès des enfants.
Ce fut un entretien magique très inattendu. Dans son rapport, elle doubla le nombre de points maximum autorisés lors d’une inspection, demandant à l’Inspecteur d’Académie de m’accorder ce dépassement que je méritais bien. Je reçus les compliments de notre Inspecteur Major en lettres rouges. C’est toujours flatteur et réjouissant d’être reconnu !
Le lendemain, j’avais droit aux excuses de ma supérieure de m’avoir sorti de son bureau presque manu militari.

L’inspectrice suivante, venait me rencontrer certains soirs vers 17 heures avec une collègue d’un département limitrophe. Elles me soumettaient des cas détectés lors de certaines inspections. Je leur présentais des pistes de travail possible, à la lumière de leurs descriptions… Je leur précisais le caractère incertain, approximatif du moins, de mes remarques sans connaitre l’enfant.
Elle m’avait suggéré de passer le concours de conseiller pédagogique.
Un autre jour, elle m’invitait à animer une conférence et apprenant que je n’avais pas de voiture, elle vint me chercher devant mon domicile. En quittant la ville, dans une ruelle pentue, elle cala et en totale panique me demanda de prendre le volant. Hélas pas de véhicule et pas de permis. Elle retrouva illico ses esprits. C’est elle qui me fit nommer membre permanent aux examens des rééducateurs. Je me déplaçais en train ou en bus puis finissais les trajets à pied, souvent sur quelques kilomètres.
Un jour, les surveillants d’un collège m’attendaient sur le parking pour m’accompagner jusqu’à la salle d’examen. J’entrai dans l’établissement sous une haie de déshonneur, des collégiens me huaient au passage, j’ignorais pourquoi.

Lorsque je suis rentré en Corse pour faire le même travail auprès des enfants de mon île, j’éprouvais le besoin de donner chez moi ce que j’avais appris ailleurs, point de poste pour le revenant.
Eprouvant le dicton « nul n’est prophète en son pays », je me retrouvais simple débutant dans l’école de mon enfance, à « l’insu de mon plein gré », débarqué dans cet endroit sans savoir ni pourquoi ni comment.
J’eus quelques déboires avec mes supérieurs. J’avais perdu le sens des réalités allant jusqu’à refuser trois fois l’inspection. Je m’attendais à des représailles, blâme ou sévère rappel à l’ordre, il ne se passa rien. Peut-être avaient-ils relu le rapport de mon parcours dans les Yvelines. En conséquence, ma note resta celle que j’avais en entrant dans mon île. J’imagine que j’étais le plus mal noté du département à mon échelon en fin de carrière, j’avais connaissance de notes canons autour de moi.
C’était bien mérité puisque je l’avais cherché ! Malgré mon travail acharné auprès des enfants, je n’étais pas rémunéré au mérite puisque les échelons évoluent plus vite avec les notes favorables.
Ma sortie par la petite porte, la tête bien basse, fut le pire moment de toute ma carrière.

Un enfant, aujourd’hui père de famille, me disait, il y a très peu de temps :
– Même maintenant, je retournerais volontiers dans votre classe.
Il n’était pas le meilleur du groupe, peut-être le plus espiègle que j’ai dû parfois mener de main ferme si ce n’est de maître, c’est le cas de le dire.
Si la vérité sort de la bouche des enfants, hélas il est adulte…

Ces gloires et ces désillusions ne figurent pas dans le livre « A l’ombre de l’école » qui j’espère fera quelques pas au soleil même si sa trame est bien celle d’un presque illettré.

Soyez patients, il ne devrait plus tarder à être publié.
Je suis dans l’attente aussi.

2 Comments

  1. L’Éditeur nous l’annonce, en effet 😉
    Attendons donc……
    Belle soirée Simonù

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