Marilyn.

J’habitais Ambruginu au fond de la Navaggia, la partie la plus basse du village, dans une petite maison isolée.
Nous étions installés, en location, sur le côté sud-ouest, la partie opposée exposée au nord-est était occupée par une famille venue de Carbini pour faciliter la scolarité des enfants .
C’était une famille nombreuse de douze minots. Des gens modestes qui malgré le nombre étaient plutôt discrets.
La mère toute à sa descendance, protectrice et vigilante, le père un plus autoritaire tenait son monde de main ferme. Il veillait à ce que tout se passe bien et qu’aucun des siens ne manque de respect à personne.
Je me souviens très bien, j’étais gamin aussi, je jouais souvent avec Francis, Antoine et les autres.
Ghjuvanni, Le père avait installé une cloche à l’entrée de la maison et à l’heure du repas donnait le tempo.
Il se postait sur le perron qui dominait la cour et avec une autorité naturelle, sans trop hausser le ton, il sonnait le rassemblement de midi.
– Rassemblement ! Lançait-il à la cantonade, tout simplement.
Parfois, il battait le rappel en tambourinant sur un ustensile de cuisine.
Instantanément ses enfants se dirigeaient vers l’entrée, parfois en rang et en silence, entraient dans la salle à manger pour prendre place. Il y avait au moins un banc autour de la table si mes souvenirs sont bons, peut-être deux.
Il arrivait, par distraction, que l’un des enfants manque à l’appel.
Impassible, le père de famille, qui avait l’œil sur sa progéniture, fermait la porte et le retardataire comprenait vite qu’il était inutile de pester et d’insister. De la sorte, malgré un ordre que l’on qualifierait de militaire de nos jours, personne ne se plaignait, la règle était connue de tous et la règle était intangible.
Rien de rigide à dénoncer, il ne pouvait contrôler son monde sans règlement à respecter.
Aujourd’hui, on dirait que c’est excessif.
Allez leur demander et vous comprendrez l’amour qu’ils portent tous, à leurs guides !
De cet équilibre, si j’ose dire, ils ont reconduit les fondamentaux du vivre ensemble, dans leurs nouvelles familles.

Marilyn avait épousé Pierre. De leur union naquirent trois enfants, deux filles et un garçon, dont l’aînée Sabrina était dans ma classe lorsque j’étais instituteur au village. Johanna est souriante à souhait et Jean André est devenu un proche.
Catherine et André, les parents de Pierre faisaient presque partie de notre famille, ils ont longtemps veillé sur mes grands-parents, puis sur mes parents lorsque j’étais loin, dans la région parisienne. c’est vous dire si cette histoire me tient à cœur.
La curiosité, dans ce récit, est que Pierre a grandi dans la maison où Marilyn a vécu sa prime jeunesse.
On dirait que les choses de ce monde sont truquées ou pour le moins troublantes.

Marilyn, à la santé fragile, avait attrapé la Covid, maladie à Coronavirus.
A l’hôpital, les médecins l’ont plongée dans un coma artificiel.
C’était en 2022 durant la période février/mars, son mari se rendait quotidiennement à son chevet et lui parlait le plus souvent possible.
Pierre, très attaché à son épouse, s’était assigné la mission de communiquer inlassablement, souhaitant garder le lien, pensant l’espoir au bout.
Hélas, Marilyn est décédée de cette terrible maladie qui amplifie les fragilités existantes.

Le jour des visites avant les funérailles, je me suis rendu à leur domicile, le temps était maussade, il y avait du monde et certains papotaient devant la cheminée.
Pierre n’était pas présent lorsque je suis arrivé, je m’étais placé un peu à l’écart avec sa sœur, me semble-t-il.
En entrant dans la grande pièce, Pierre s’est dirigé vers moi, m’a regardé intensément, m’a fortement étreint et dans un sanglot long, m’a saccadé à l’oreille :
– Il fallait que je lui parle, parle souvent, sais-tu ce que j’ai fait ? Je lui ai lu tout ton livre, thème par thème. Moi qui ne lis pas, qui ne suis pas porté vers le lire, tu te rends compte ?

Il m’en parlait encore l’autre jour.
Si je m’en rends compte ? Bien évidemment, comment le livre du non lecteur que je suis encore, a-t-il pu faire lire quelqu’un qui ne lit pas ?

Les histoires de ce monde sont extravagantes et celle-ci m’a touché profondément.
Vous l’imaginez, j’étais très ému, je faisais partie de leur histoire et j’ai failli ne jamais le savoir.


Marilyn, ta famille est très soudée, tu es encore très présente parmi les tiens, personne ne t’a oubliée.
Ils parlent souvent de toi.

3 Comments

  1. Merci Simon
    Pour ta lecture moi qui es été élevée dans cette famille
    Cela me touche il ne reste que marraine (Catherine) pilier
    Basgis

  2. Merci Simon pour ce sublime texte. Toute la famille est très touchée par tes mots. 🙏🏻

  3. Très joli reste. J aurai tant aimé la rencontrer . Mais je l ai connu avec leur fille
    Johanna

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