Je me souviens d’un jour…
Nous étions partis chez l’oncle et la tante d’Annie afin qu’ils me connaissent.
Nous avions un peu plus de vingt ans, ils étaient déjà âgés.
J’en étais à mes premiers pas hors du sentier habituel, je découvrais des êtres à ma mesure.
Simone et René étaient des gens de la terre, des gens que notre Ségolène aurait pu qualifier d’humains de la simplitude, des gens ordinaires donc hors du commun.
Simone confectionnait des chaussures dans une usine locale, René était paysan à ses heures de loisirs, sans vaches ni volailles ni cochons. Il travaillait dans une entreprise de vélos, préposé aux réparations des pneus crevés et jantes défectueuses. Il vivait sans empiéter sur quiconque. J’ai vu son jardin, j’ai vu son univers rural et j’ai entendu sa voix rocailleuse. Il souriait à sa vie si dure aux gens miséreux.
C’était l’hiver. Le soir, ils tiraient leur rideau et se réchauffaient à la chaleur de leur poêle à bois.
La pièce était élémentaire, une petite table, quatre chaises pour accueillir les visiteurs de passage.
Simone faisait fondre du beurre avec une échalote, sur la plaque de son poêle, je sentais le parfum du bulbe qui envahissait progressivement la petite pièce. Jamais, je n’ai réussi à embaumer ma cuisine de cette même rusticité, de ce fumet propre à la campagne et aux gens du terroir. Elle était fière de me montrer sa manière de procéder, je n’ai jamais réussi à égaler cet arome vrai qui envahit une cuisine.
René était fier de nous qui n’étions rien, nous n’avions aucune expérience de la vie, je découvrais le même milieu que le mien.
Nous étions des jeunes enseignants débutants, une fierté pour des gens respectables qui apportaient leur bulletin afin que d’autres se chargent de déranger leur vie. Ils y croyaient pourtant.
Jamais, ils ne lâchaient prise, avec un léger espoir au coin des lèvres, ils souriaient par habitude.
Le jour de notre départ, Simone a fait le tour des marchés. Nous sommes repartis avec un Saint Nectaire authentique, un fermier. Des saucisses sèches plates, des fraîches aussi, quelques œufs.
René m’a fait visiter sa cave souterraine, une obscurité et une humidité toutes paysannes soulignées par sa fierté d’homme de la campagne. Il me vantait son vin, un cru de son foulage aux pieds, un grand cru offert par la simplicité d’un homme.
Je suis reparti avec deux bouteilles d’un litre, le train nous a cahoté longuement.
Nous sommes arrivés fourbus à notre demeure, j’ai voulu me relâcher un peu, j’ai goûté son vin, c’était de l’acide. Un breuvage vif que l’estomac avait du mal à accepter mais c’était une offrande que je n’ai jamais oubliée.
Le cœur des hommes authentiques a l’estomac de la sincérité.
Il bat sans se soucier des états d’âme des gens protégés, ceux qui croient avoir tout compris et ne savent rien des choses de la vie…