Ce monde à l’envers.
Les temps sont moroses, sans relâche on fourbit les urnes…
Le monde est devenu fou.
Parfois, il m’arrive de rêver de solitude absolue.
On ne peut plus ouvrir un coin de média sans tomber sur l’effervescence d’une politique débridée, décomplexée, dérangeante. Une campagne qui n’en finit plus, on ferraille, on fait et refait sans savoir quoi. Inlassablement, on pédale dans la semoule. Un coup dans le zig, un coup dans le zag, on zigzague allègrement pour éviter la cible. On recommence.
Si la satisfaction était au bout de l’élection, ce serait cocagne. Hélas, lorsque les urnes auront livré leur verdict, il n’est pas certain que tout redevienne paisible dans ce monde qui aura voté. On a la nette impression que le suffrage universel accouche perpétuellement d’insatisfaction chronique et même annoncée. On se prépare des lendemains qui déchantent et peut-être pis encore.
Dans ce monde à l’envers, je sors mon revers… L’évasion, le rêve éveillé.
J’étais arrivé au bout d’un chemin. Ma vue se perdait sur une colline couverte de maquis et de toutes sortes d’essences. Les chênes se tenaient drus, les aulnes glutineux dessinaient le lit d’un ruisseau invisible dont le chant impétueux montait jusqu’à moi. Je devinais les eaux gonflées par les dernières pluies, pressées de dévaler la pente à vive allure.
Les rochers enrobés d’une mousse épaisse encouragée par l’obscurité humide, résistaient aux bousculades écumantes. Tout un fatras de branches mortes s’est accumulé entre deux roches dans un entrelacs que la nature sait si bien inventer pour faire barrage. Un abri qui retient une multitude de larves d’éphémères comme un garde-manger pour les salmonidés endémiques.
La macrostigma aux aguets dans une coulée moins vive, ondine et se dandine avalant les « flapotis »* des clapotis qui coulent par ses ouïes. Quelques traîne-bûches, qu’on appelle porte-bois, ont lâché prise et vont à la dérive faisant le régal d’une truite à l’affût. Un gros lombric imprudent s’est approché de l’onde qui l’a flotté un instant, un très court instant car la reine de l’endroit a giclé par-dessus l’onde pour le gober en une fraction de seconde, puis se replace aux aguets.
Le cincle* remonte le courant à vive allure émettant son cri caractéristique en parfaite harmonie avec son ondulation chaloupée au ras de l’eau. Il s’arrête un instant sur un rocher hochant la queue et dodelinant de la tête comme un merle nerveux, il cherche un coin à l’abri d’une cascade pour y fonder progéniture. Le printemps n’est plus très loin, il est temps de prospecter.
Quelques oliviers isolés semblent prisonniers du maquis et projettent leurs lueurs argentées sous l’effet d’une brise qui retourne leurs feuilles dans un clignotement de vert et de gris. De l’argent qui frissonne dans l’air frais. Une fraîcheur mouillée suit le mouvement du ruisseau pendant que les derniers rayons filtrent à travers les branches, encore nues, des aulnes.
A flanc de colline, totalement seul, un mimosa imite le soleil.
Un éclat de jaune illumine cet « Univert ».
Il mimose et claironne son port doré. C’est son chant du moment.
L’endroit est inaccessible, alors j’imagine ses boules odorantes et sa poussière dorée qui encense les environs comme le ferait un prêtre avec son encensoir. Une fumée de soufre vif poudre la végétation voisine. Une abeille s’est enivrée, chargée comme une mule. Elle hésite comme si elle avait perdu la boussole puis s’élève au-dessus de l’arbre jaune citron en promettant d’ameuter le bataillon.
J’effleure ses feuilles d’un vert tendre mais soutenu, en bonne sensitive la branche rétracte ses limbes ciselés sous l’effet répulsif du toucher.
Je me suis assis au pied de l’arbre au gré de mon imaginaire.
En immersion dans un parfum entêtant, totalement poudré de neige isabelle, je ferme les yeux pour ne plus voir là-bas, ce monde citron acide, ce monde à l’envers… Tous ces dirigeants qui vont à hue et à dia, ces baudets désorientés ont perdu la boussole du bon sens commun.
Je flotte dans un Univert doré à l’atmosphère mirabelle…
Mon rêve sera de courte durée, déjà, l’appel de ce monde sévère siffle sa triste réalité.
*Flapotis n’existe pas, c’est la partie visible du clapotis, à mon sens.
*Cincle = merle d’eau, dit-on. Il vit au bord des rivières et niche souvent derrière des cascades.