Peut-on être asymétrique ou faut-il être équilatéral ?

Comme vous le savez désormais, je ne suis pas un lettré. Je n’ai pas de culture littéraire à cause d’un apprentissage long et difficile. On en porte toujours des stigmates. Je dois mon salut à une lecture en diagonale bien au point, je dirais même, papillonnante.
Je butine.
Je grappille, je glane beaucoup et je retiens. Je commence toujours par la fin et ne remonte vers le début que si l’intérêt m’y porte vraiment. Le plus souvent je me trouve des raisons de ne pas aller plus loin.
C’est curieux comme démarche pour quelqu’un qui a le goût du suspense.
Je pratique ainsi pour toute sorte de lecture.
Pour les articles surtout, plutôt scientifiques si possible, car des livres, je n’en ai pas connu beaucoup. Si peu et jamais, oui vous avez bien lu, jamais jusqu’au bout…
Ma promenade, ma randonnée idéelle, je la gambade en courant la prétentaine dans l’écriture, infiniment plus que dans la lecture.

Mon vocabulaire, je le dois au vieux dictionnaire illustré de Denise, vous connaissez mon histoire.
Un vieux pavé dico du début du vingtième siècle à la couverture usée dont le carton cassé en deux ne tenait que grâce à sa toile bistre, était un cadeau secret. Il restait caché sous mon lit dans une boîte à chaussures, modeste coffre-fort pour un trésor.
C’est ce caractère secret qui lui donnait tant d’importance et j’avais tout mon temps de le parcourir.
Les illustrations me parlaient lorsque le sens devenait moins accessible à la lecture seule.
Combien de fois n’ai-je rêvé devant un mot nouveau ?
Parfois des noms propres.
Sindbab, Cipango, Magellan… J’en ai pris des bateaux, des caravelles pour m’aventurer au fond de mon lit et découvrir ses mers lointaines.
Je ne connaissais la mer qu’en images, je ne l’ai découverte qu’à l’âge de 13 ou 14 ans.
Mais quelles croisières folles, très animées sur des océans déchaînés ! Toujours déchaînés, jamais calmes. Il me fallait le risque, caché sous les draps, pour voguer dangereusement. Le risque inventé devenait réel et imminent danger dans mon imaginaire. Le vrai et le réel venaient à moi sans jamais les avoir connus, tout juste suggérés par l’évocation d’une phrase citée en exemple.
Je voyage encore beaucoup dans ma tête, bien plus qu’en trottant.
Je deviens globe trotter sédentaire, baroudeur chevronné, en cultivant mon imaginaire comme je cultive mon jardin, toujours en solitaire.
Je m’évade dans des galaxies aux confins de l’univers en m’inventant des mondes à ma convenance, à la mesure de frayeurs ou d’émerveillements qui me traversent l’esprit.
Je n’ai jamais pensé à m’aventurer du côté du paradis. Il y a trop de lumière douce, pas assez de coins obscurs, pas assez de tourments pour éprouver le besoin de se reposer à l’ombre, un instant. Il me faut des contrastes pour aimer les nuances, la peur pour aimer la quiétude.
Il me faut des émotions fortes et non la béatitude.

Je suis un conquérant de la vie tranquille, un homme paisible qui patauge dans l’inquiétude.
Je suis un champion de la digression qui revient toujours, parfois très tard, à l’essentiel.

Le plus étonnant fut mon parcours professionnel, largement décrit dans ces pages du blog.
Mon plus grand étonnement, venir en aide aux enfants en difficultés scolaires de lecture et d’orthographe, mes plus grandes infirmités lorsque j’avais leur âge.
Sans doute, avais-je déjà fait le même parcours pour mieux les accompagner.
J’avais la patience pour les attendre, pour leur indiquer quel coin visiter et comment faire quelques pas de plus. Je les comprenais.
Désarmé ? J’essayais d’autres outils, d’autres pistes, d’autres clés à l’ouverture de leur mystère. J’inventais de nombreux stratagèmes, jeux, exercices à partir de ce que je savais d’eux. Parfois, par intime conviction, sans aucune preuve tangible, je détectais quelque blocage qui fermait la porte de leur entendement.
Quelque chose d’irréparable semblait pointer, parfois, le doute et l’impuissance à résoudre l’énigme.
Fallait-il continuer et s’entêter ?
Souvent, je persévérais par respect ou parce que d’autres insistaient, convaincus de ma perspicacité.
Continue, disaient-ils, tu vas trouver.
Poursuivre un chemin en sachant qu’on n’y arrivera jamais conduit tout droit à la névrose. J’avais l’esprit solide pour contourner cet obstacle aussi. Le recul, je le prenais lorsque je me retrouvais face à moi-même. Sans ce recul point de salut !

Avec les progrès de la science on grignotera beaucoup sur la psychologie largement gagnante sur tout ce qui ne peut être objectivé pour l’instant. Qu’un coin de personnalité soit obscur et le recours au psychologique devient secours. Certes, je ne nie pas sa part d’utile mais on a largement profité de la situation en toute bonne foi. J’en ai connu des psychologues qui avaient plus besoin de voir un psy que leurs petits patients. Des familles en étaient retournées, des mères culpabilisées au coin d’un autisme de leur enfant.
Faut-il que l’on soit tous équilatéraux comme un triangle parfait ?
Faut-il que nous soyons tous en équilibre pour tenter d’équilibrer les autres ?
Probablement non, nous ne serions pas de ce monde. J’ai remarqué que le plus déséquilibré des psys dans sa vie personnelle, pouvait apporter beaucoup aux autres.
Je me souviens de cette pauvre freudienne écartelée entre sa vie et celle de son enfant, incapable de gérer ce mouflet que le père avait lâché pour conter fleurette ailleurs… Elle avait perdu la boussole de l’éducation, elle en quêtait une autre en cherchant des appuis. Totalement larguée, elle ne savait plus quoi faire et pétait les plombs, devant moi, dans sa salle, lorsque son gamin de huit ans lui balançait haut et fort d’aller « se faire enc… chez les papous ».
Elle filait du noir à longueur de journée. Ses notes étaient des toiles tissées par l’araignée dans sa tête, des pelotes de fil continu, des boules filandreuses, des ampoules obscures, éteintes dans la nuit de ses graffitis.
Souvent au bord de la crise de nerfs, elle m’implorait presque pour que je vole à son secours… j’avais une autre vie à préserver et je ne me prenais pas encore pour le Christ. Je faisais ce que je pouvais dans cette tourmente qui n’était pas la mienne et souvent cela suffisait pour apaiser les choses.

J’en ai vu défiler des psys, avec à chaque fois une originalité propre.
Celle qui cherchait à savoir si elle était désirable et forçait sur le bleu de ses yeux d’un azur profond.
Celle qui ne supportait pas d’être appelée psy scolaire se disait clinicienne de surcroît et revenait inlassablement sur ses diplômes pour ne pas paraitre sous estimée.
Celle chargée d’égo avide de pouvoir, convaincue de posséder le savoir absolu des sciences humaines.
Le choix était large. Ne vous étonnez pas si je n’ai pas cité d’homme, cette fonction fut exclusivement féminine dans mon parcours qui dura près de deux décennies et demi dans les coins et recoins de la région parisienne.
Toutes s’en sortaient plutôt bien, à l’abri de leur métier, mais jamais sans douleur.

Nous sommes, pour la plus grande part, des triangles quelconques aux formes et tailles multiples. Des larges, des étirés, des presque plats… il existe bien des triangles rectangles à angle droit dans ses bottes, des isocèles à deux côtés parfaits, sages et patients, volontaires et déterminés mais probablement pas de triangles équilatéraux faisant miroiter la perfection. N’est-ce pas mieux ainsi ?

L’asymétrie est parfaite pour notre monde.
Allez-y de vos imperfections, de vos blessures, de vos doutes, de vos erreurs, de vos quelques certitudes si vous en avez… le monde n’attend que cela pour faire quelques pas hésitants et s’en sortir malgré tout, même cahin-caha.
Il faut bien que la vie chancèle pour connaître les faux pas d’ici-bas.

L’aspect géométrique de la vie ne me semble pas flirter avec le cas particulier d’un être équilatéral.

« Si les triangles faisaient un dieu, ils lui donneraient trois côtés » citation attribuée à Montesquieu. J’ajouterais pour la compléter … et serait équilatéral.
Hélas, nous ne sommes pas le divin.

Quel bonheur d’être quelconque sans être nul, presque un amorphe* capable de prendre toutes les formes.
Quelqu’un trouvera bien son plaisir, découvrant en vous, une belle originalité.

*On confond souvent amorphe avec apathique.
Amorphe signifie sans forme, apathique sans énergie.

Toutes ces images tirées de l’oreille de ce chat.
C’était en hiver, il s’était posé sur le rebord de ma fenêtre, je l’ai photographié à travers la vitre, il a filé…

2 Comments

  1. Simonu 👋 😉😅 , sublime résumé des êtres humains dans toute leur splendeur ; ce mélange mathématique de mots 😉 en fait un rond , si la terre est bien ronde le résultat semble être parfait ,mais est ce exact dans les sphères de l’univers ? le doute subsiste ! existons nous vraiment dans la matière , puisque l’ego semble souvent nous guider …
    félicitations Simon ,merci , toujours
    au plus juste ! 👏👏👏 J’espère que vous arriverez à déchiffrer les dires d’un cerveau asymétrique , 😾 très beau ce chat !

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