Doudou.

DSC_2756En croisant les jambes pour que tout se passe bien…

C’est en écrivant la première anecdote du texte précédent que je me suis souvenu de Doudou.

Voilà un homme qui portait bien son prénom. Il était effectivement doux avec tout le monde. Avec sa bonhomie, son corps tranquille, paisible, qui inspirait la confiance, il aurait pu servir de doudou. C’est ainsi que je l’ai toujours perçu, capable de désarmer le plus fulminant des agresseurs avec un sourire dont il avait le secret.

Je suis bien incapable de vous dire combien de fois il a effectué le trajet Lévie/Ajaccio durant sa carrière de chauffeur de taxi. Il assurait quotidiennement la navette par n’importe quel temps. Un trajet qui devait avoisiner les deux cent trente kilomètres journaliers, tout compris. Il partait du village très tôt après être passé dans les hameaux environnants pour chercher ses passagers jusque devant leur porte. Une sorte de ramassage avant le vrai départ de Lévie. Nous étions les derniers à occuper les places. Seuls, une météo exécrable. un temps à rendre les routes impraticables pouvaient le retenir à la maison. Je n’en suis même pas certain.

La durée du voyage était réglée par le métronome Doudou, quasiment toujours la même. Un train de sénateur. Inutile d’arriver trop tôt, les cabinets médicaux n’étaient pas encore ouverts, les magasins non plus. Il connaissait chaque coin d’Ajaccio et conduisait ses clients à bon port, toujours ponctuel. Son point d’attache était « Le Royal », un bar situé en centre-ville. C’est là qu’il passait une partie de la journée en attendant le retour du soir. Il en profitait pour effectuer quelques courses, des commandes particulières. Acheter des médicaments, un pneu ou deux, un bout de tuyau ou quelques dizaines de clous, des menus services qui n’étaient pas si menus que ça lorsqu’il fallait se rendre en ville pour trouver son bonheur.

Une année, je rentrais du Continent avec ma femme pour passer Noël en famille. Mes grands-parents étaient encore là, c’était l’occasion de se retrouver tous, en dehors des vacances estivales. En hiver et à Noël l’atmosphère est toute autre, les émotions particulières et les au-revoir déchirants, en pensant qu’au retour prochain il manquera peut-être quelqu’un. Cela a toujours été ainsi, nous n’osions pas l’avouer, nous faisions des adieux, au cas où, plutôt que des au-revoir. Je me souviens que j’avais la gorge nouée, incapable de parler jusqu’au virage de Cirana. Tout le monde le savait et ceux qui étaient avec moi, se gardaient de m’adresser la parole avant de franchir cet endroit à partir duquel le village n’était plus visible. Une image qui disparaissait comme une page tournée. Je ne retrouvais mes esprits et ma voix qu’une fois la descente du Baladin amorcée en direction de Tallano. C’était ainsi à chaque départ et pire encore les dernières années. Je ne supportais plus ces arrachements à ma Zinella* qui attendait une année avant de me revoir.

J’étais donc dans le taxi de Doudou. Toutes les places étaient occupées.  La bonne humeur était de mise. Le véhicule qui connaissait la route par cœur conduisait tout seul. L’usure des pneus savait comment attaquer chaque virage pendant que notre ami tourné vers nous, racontait quelque amusette. Et chacun faisait connaissance, après tout, nous étions tous des enfants de l’Alta Rocca et avions souvent un parent ou un ami en commun. A côté du chauffeur, à la place du mort, mais bien vivante, une dame d’âge plus que mûr rentrait pour son Noël aussi, dans un village voisin. Elle se tourna vers moi :

– D’où êtes-vous ?
– De Lévie.
– Ah ! De Lévie. Je vais vous raconter quelque chose, vous allez rire. (Et elle commença à me parler, en mal, d’une personne de ma famille proche)

Aussitôt, Doudou qui était plutôt pour la paix universelle actionna son modérateur :

– Arrête ! Arrête ! On n’entend que toi ! (Battant de sa main droite devant le visage de la dame, cherchant à la bâillonner et faisant tout pour l’embrouiller) Il cherchait à la faire taire en noyant le poisson. Rien à faire, elle lui tapait sur la main, encore plus excitée par cette presque censure, et en rajoutait :

– Attends, tu vas rire… Si tu la voyais avec son petit sac…

De l’autre côté, ma femme avait attrapé un bout de ma cuisse et me pinçait très fort, en insistant, pour que je ne dise rien. D’un côté, un chauffeur très gêné, de l’autre ma femme qui voulait la paix. Je n’ai rien dit, je n’ai pas ri non plus. C’est en lançant :

– Ce n’est pas très amusant ! Qu’elle a fini par s’arrêter.

J’ai rassuré Doudou en arrivant au village. Il affichait son sourire paisible en se déclarant désolé de ce qui venait de se passer.

Il a dû en connaître d’autres et des plus pendables, sans doute.

Cet homme a fait le tour de la Terre plusieurs fois, par tous les temps sans jamais se plaindre à ma connaissance. Il faisait partie des figures du village, un homme utile et nécessaire.

Une image rassurante vient de passer… je ne connais qu’une infime partie de son histoire qui mérite, à n’en pas douter, l’écriture des  » Mille et une virées de Doudou ». J’aurais bien aimé en connaître quelques-unes pour lui rendre un hommage plus appuyé et bien mérité.

Un aperçu de ma « Zinella », l’endroit où je passe mes plus belles soirées d’été en famille ou avec les amis. Ici, le four à bois que j’ai conçu et réalisé. (Vue partielle)

3 Comments

  1. Laissez aller les digressions si je peux me permette cette supplique. Ces chemins détournés sont l’arrêt devant un panorama, sont le sel d’un plat (ou la pointe d’ail, comme on voudra). Elles sont la marque de confiance de celui qui parle ou écrit à celui qui écoute ou lit. On pèse ses mots avec l’inconnu. On se laisse aller avec celui que l’on sait bienveillant, à qui l’on fait confiance pour s’intéresser à ce qui nous passe par la tête.
    Nous devons donc être flatté par cette marque du crédit de sympathie réciproque qui nous est offerte. Foin de l’académisme nous sommes au pays de Montaigne et La Boétie dont Georges Brassens nous rappelait l’heureuse spontanéité.
    Digressez encore Simon, s’il vous plait.

    1. Bonjour Gaëtan.
      Merci, vous arrivez toujours au bon moment pour encourager. L’évocation de Montaigne n’est pas anodine non plus. C’est lui qui m’a sorti de prison en classe de seconde et qui m’a inspiré le style à « sauts et à gambades ». Vous le savez, j’aime me rouler dans les idées qui vont et viennent sans me prévenir.
      Je crois que je vais continuer, je ne commande rien…
      Bonne soirée.

  2. Merci Simon pour ce bel hommage. Vous avez bien parlé de Doudou. C’était un homme bien qui nous laisse beaucoup de souvenirs. C’était mon oncle….

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