Parfois, le silence crie.

C’était un élève silencieux, calme, effacé presque invisible.
Tous ses comportements qui ne méritaient pas le vocable « comportement », n’étaient ni posture ni imposture. Un naturel imposé par sa terrible condition du moment.

Je ne l’avais pas détecté de suite.
Je l’observais de loin, sans intervenir, avant de comprendre le pourquoi d’un si grand mutisme et de cette manière de subir les jours de classe en attendant que ça passe.
Ses productions scolaires ressemblaient au personnage. Le strict minimum pour signifier sa présence, la justifier à peine, un minimum gribouillé, raté, comme si peu lui importait d’être à l’école.
Je savais, par expérience, mes vingt-quatre années passées à aider les plus faibles et ceux bourrés de problèmes, qu’une telle mélancolie doublée d’une inactivité constante, une passivité subie, la volonté émoussée, masquait un trouble personnel.

C’est en observant son comportement dans la cour que j’ai compris sa grande apathie, ses préoccupations étaient tout autres, sans rejet scolaire.
A la récré, souvent isolé, les mains dans les poches, il déambulait au hasard. Au hasard vu de loin, en réalité, il effectuait le même parcours, cachait sa grosse inquiétude en se faisant discret. C’était en agissant de la sorte, faisant mine d’être détaché de tout, qu’il gardait son secret.
Parfois, d’autres enfants l’accrochaient au passage, l’interpelaient, il souriait à peine et poursuivait sa marche presque sinusoïdale comme un bateau erre sur les flots.
La profondeur de ses pensées n’avait d’égale que son attitude « mine de rien ».

Par moments, parvenu juste à côté du mur qui sépare l’école du cimetière, il jetait un regard furtif vers sa maison, visible à flanc de colline. Un regard triste et résigné.
Il savait.

Son père gravement malade pouvait partir à tout moment, il savait et cette idée le poursuivait sans relâche de sorte qu’il était à l’école par obligation tout en étant absent dans l’apprentissage des connaissances fondamentales. Il ne s’en fichait pas, il subissait l’immense tristesse qui le phagocytait.
Il tournait quelques fois au même endroit, jetant des regards d’une infinie affliction, son esprit ne parvenait pas à se détacher de là-bas

Personne ne se rendait compte de son attitude qu’il camouflait à la perfection. Il était seul, totalement seul face drame qu’il pensait imminent.

Un jour, un jour banal, quelques enfants s’étaient groupés devant le mur. Une ambulance dont les gyrophares tournaient sans discontinuer, était arrêtée sur la place de sa maison. A l’écart des autres, il dressa la tête, fixa la lumière prémonitoire puis s’inclina pour détourner le regard.
Pas un mot, pas une larme, il enveloppait ses états d’âme dans l’habitude, dans un molleton patiemment tissé pour étouffer ses plus bruyantes et visibles émotions.

Il savait qu’un jour, pas si lointain, ferait œuvre mauvaise, il manifestait des plaintes aphones, audibles seulement par ceux qui savent détecter le silence qui crie.

Comme des non-dits qui ne tonnent pas mais peuvent peser des tonnes, il y a des silences qui crient.

Ce sont les hiboux qui ont été étonnés ! Comme les lapins d’Alphonse. 

2 Comments

  1. Des silences qui en disent souvent très long. on devrait être insouciant à l’âge scolaire ! mon fils a perdu son papa alors qu’il venait d’avoir 20 ans; il n’en a plus parlé pendant des années…….. mais il en gardé des stigmates que lui-même ne perçoit pas.
    Très émouvant ce récit Simonù

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