Yvon était rêveur.

Mon ami Yvon termine son séjour chez nous.
Depuis hier, il était rêveur, déjà.
Rêveur car il se plait beaucoup dans notre environnement.
Il sait qu’il faut partir, il sait que sa vie est ailleurs. Une vie qu’il aurait voulue ici auprès de sa Méditerranée.
Quarante ans de Mare Nostrum, au total, entre l’ici et là-bas, c’est difficile à oublier.
Nous l’avons conduit à la plage, il ne savait pas. Tel une tortue marine attirée par les flots, il s’est dirigé vers les vaguelettes qu’un vent léger faisait valser pour lui chanter une iodée et douce mélopée.

Je le regardais, perdu dans ses pensées, avançant mécaniquement vers l’élément bleu céleste, turquoise par endroits. J’aurais pu faire un geste, le héler pour attirer son attention, je crois qu’il n’aurait rien vu, rien entendu.
Yvon s’était évadé dans le temps lointain, parfois souriait, se baissait pour toucher l’onde.
Avec une main creusée à la manière d’une louche, il récoltait une large louchée d’eau, puis se bénissait en la versant sur son crâne comme on baptise un enfant sur les fonts baptismaux.
Il esquissait un sourire, je devinais son plaisir de se retrouver, par une méditation lointaine, de l’autre côté de la Méditerranée.
Parfois son regard se fixait sur un ilot, il imaginait son île maudite, à La Calle non loin de la frontière tunisienne, un endroit ainsi nommé car quelques baigneurs y trouvèrent le trépas par noyade.
Alors ses yeux s’assombrissaient, il hochait la tête, j’avais l’impression qu’il conversait avec naguère, avec jadis aussi, peut-être.
Il s’est frictionné le visage avec une once de sa Méditerranée,
Il m’a regardé, réalisant seulement à cet instant que je me tenais à bonne distance pour qu’il puisse communier avec son passé.
Il a souri, puis comme un gentil pirate avec ses godasses à la main, se dirigea vers la réalité actuelle.
– Quel voyage ! dit-il. Si tu savais le voyage que j’ai fait ! Mon adolescence, mes amis, les filles, la joie de vivre, le vague souci de l’avenir… Et aujourd’hui, l’avenir est devenu passé.
– Tu sais, si vous le voulez bien, si mes jambes me tiennent encore, j’aimerais revenir chez vous une nouvelle fois.

Je n’ai rien dit, Yvon a esquissé un sourire, il avait compris… Nous nous étions compris.

Vaguement dubitatif le regard fixé vers l’onde.
Coupé du monde environnant, Yvon conversait avec le sable.
Il récoltait un peu d’eau…
Se frictionnait d’un peu de Méditerranée.
Le regard bas, il revenait à la réalité actuelle.
Tournant le dos à son îlot maudit, il venait vers moi, me raconter son voyage dans le temps…

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