Souffrance.

IMG_0817-001Comme des lumignons qui éclairent au cœur des ipomées…
Ce soir, je suis en souffrance. Je suis en panne de sujet. D’ordinaire, je n’ai pas besoin de chercher, les idées viennent à moi comme les graines du pissenlit sont portées par le vent puis deviennent fécondes.
Finalement, c’est un peu le même principe, il a été à peine induit. En pensant « souffrance » pour le titre, le visage d’une petite fille blonde m’est apparu.
C’était à une période montante de ma carrière. Je commençais à être connu, une institution qu’on appelait IMP, Institut Médico-Pédagogique, me sollicitait pour que je suive certains de leurs pensionnaires. Des enfants qui ne pouvaient être scolarisés à cause de troubles trop importants et un manque d’autonomie patent. Leur but, outre le suivi personnel, consistait à les faire scolariser un certain temps dans la semaine avec l’espoir d’une adaptation définitive.
L’équipe se trouvait face à une tâche difficile et semblait, parfois, tourner à vide. Venant à nous, ils pouvaient souffler un peu, obtenir des avis différents, car les objectifs n’étaient pas les mêmes, à l’institut et à l’école. Les regards non plus.
Un jour, l’équipe médico-éducative me présenta le cas d’une petite fille qu’ils souhaitaient familiariser avec l’école dans l’espoir de la scolariser. Ils arrivaient en nombre pour faire le poids se montrant toujours optimistes et persuasifs. J’aimais bien ce genre de défi qui entrait parfaitement dans ma démarche de recherche perpétuelle. Il n’existait aucune méthode à suivre, on ne trouvait rien dans les livres, tout était dans ce que j’appelais la pédagogie du regard et de l’écoute. Tout était suggéré par l’enfant, c’était lui qui nous indiquait la marche à suivre et à bien cibler les objectifs lorsque ceux du départ étaient à côté de la plaque, trop ambitieux ou mal posés. J’étais dans mon élément quasiment dans une situation de laboratoire presque de recherche fondamentale. Je considérais qu’il s’agissait d’une redevance destinée à  des enfants qui cherchaient leur place.
La fillette venait dans ma salle deux fois par semaine pour des séances de quarante-cinq minutes, grand maximum. Très vite j’ai compris que j’avais devant moi un comportement autistique. La communication était zappée avec sa manière de regarder sans voir. Le plus souvent, elle me parlait avec un voile devant les yeux. Elle avait peur des enfants et les fuyait lorsque j’allais la chercher hors de la cour. Dans la salle, elle semblait rassurée et gagnait rapidement un coin derrière la bibliothèque qui était devenu son refuge. Là, elle évoluait à sa guise, s’inventant et gérant le monde qu’elle s’était créé. Il a fallu un bon bout de temps pour que je puisse faire partie de son monde.
J’avais remarqué qu’elle paniquait lorsque je n’étais pas ponctuel au rendez-vous devant la grille. C’était volontaire car je l’observais de loin. C’est  à ce moment que j’ai compris qu’elle me repérait bien, qu’elle n’était pas totalement coupée du monde. J’étais sa bouée de secours, elle accourrait vers moi montrant un grand soulagement. Au fil du temps, nous avons cherché à grignoter un peu plus d’autonomie. Je me plaçais à la fenêtre, elle me faisait de grands gestes, partait en courant et n’arrivait jamais dans ma salle. Dès qu’elle passait sous le préau, elle ne me voyait plus et perdait tout repère. Je devais aller la chercher. Petit à petit, je l’ai aidée à reconnaître des symboles comme les traces de pas. J’avais dessiné mes pas sous le préau jusqu’à l’entrée de ma porte… c’est ainsi qu’elle se dirigeait. Plus tard, j’ai dessiné des flèche puis plus rien. Son angoisse semblait faiblir. Elle  demandait à venir avec moi dans une classe, lorsque j’allais chercher un enfant pour la séance suivante. C’est ainsi, toujours à sa demande, qu’elle a pu approcher les autres élèves.
Un jour, je l’ai vue arriver dans la cour, passer sous le préau et puis plus rien. J’ai attendu. Au moment d’entrer en classe, une maîtresse l’accompagna jusque dans ma salle en m’expliquant qu’elle s’était placée dans le rang avec ses élèves. Elle venait de faire un grand pas : elle n’avait plus peur des autres enfants.
Rien ne lui a été imposé, je la dirigeais simplement sur les pistes qu’elle suggérait, en étant présent pour la rassurer mais sans jamais empiéter davantage sur son espace personnel. Une proximité rassurante et bienveillante pour favoriser l’évolution de son autonomie.
Comme souvent dans ce genre de suivi aléatoire sans objectif bien défini au départ, je n’étais jamais le même. Je n’étais plus celui qui aidait l’enfant dans ses difficultés strictement scolaires. L’évolution de la démarche et la force des choses me conduisaient instinctivement à refuser tout suivi d’une autre nature avec ce même enfant. Je ne pouvais être un magicien multi-illusions, plus sagement multifonctions. Dans ces cas qui m’ont marqué à vie, qui m’ont beaucoup appris, qui m’ont épuisé aussi, je demandais à ce que quelqu’un d’autre prennent le relais pour un apprentissage scolaire. Au début, cela a beaucoup dérouté et même plus, puisqu’on insistait pour que je continue. Finalement, chacun a bien compris que j’ai aidé l’enfant dans sa relation avec l’autre, à gagner en autonomie et pour que tout soit clair dans son esprit comme celui des adultes, je devais m’effacer désormais.
La clarté dans le comportement comme dans les rôles est assurément nécessaire.
Je ne me souviens plus du prénom de cette petite fille, peut-être une maman aujourd’hui…
Bon ! Finalement ce n’était pas plus mal, on a passé un bon petit moment… J’espère.
Demain matin, les choses de la vie m’offriront d’autres idées… Bon dimanche.

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1 Comments

  1. …Cette petite fille blonde au comportement autistique…peut être Maman aujourd’hui…

    « il n’existait aucune méthode à suivre, ..tout était dans ce que j’appelais la pédagogie du regard et de l’écoute »..
    « elle avait peur des enfants et les fuyait »..
    « je l’ai aidée à reconnaître les symboles comme les traces de pas »..

    MONIQUE, du Canada, aurait peut être redit, entre autres : « vous avez su développer leur (son) autonomie mais également leur (lui) procurer un sentiment de pouvoir sur leur (sa) vie en les (l’) outillant à bon escient » (cf « Lettre à Monique,.. » du 17 juin).

    Merci pour ce « bon moment », pédagogique et plus, Simon.

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