Etre aux oiseaux est une expression québécoise qui signifie « être joyeux » presque extasié.
« Lorsque la lune était bien haute et la nuit bien éclairée, Margault est revenue me voir avec la lampe :
– Ça y est, elles chantent !
Elle attendait ce moment annoncé.
Nous sommes descendus dans le jardin et nous nous sommes assis sur les marches hautes à côté du bassin. Le silence était absolu, notre arrivée avait sans doute dérangé l’orchestre en plein concert. Nous regardions le ciel piqueté d’étoiles, la voute céleste clignotait. Elles nous saluaient peut-être.
Parfois une flèche, décochée depuis le firmament, visait le sud. Une autre traçait son trait d’est en ouest, un trait bref, vite éteint.
Nous ne disions rien. Nous nous regardions en allongeant le cou pour évoquer le mystère du silence et la profondeur sidérale, les lumières et les obscurs de l’immensité des cieux.
Nous étions perdus entre Grande et Petite Ourse, voie Lactée et galaxies lointaines.
Nous cherchions à percer leurs mystères avec le télescope de notre imaginaire.
Et puis à deux mètres de nous, le chef de cérémonie donna le tempo et ce fut un concerto pour orchestre symphonique et sacs vocaux. Les rainettes célébraient la nuit douce, rien que pour nous.
J’ai allumé la lampe, elles ont continué à coasser. Deux yeux brillaient dans l’angle du bassin, on devinait la tête de la diva… un long moment nous avons écouté… puis, Margault rêveuse s’est levée, m’a embrassé et est partie se réfugier dans son lit… quelques minutes plus tard, elle dormait déjà. Je l’imaginais dans le ciel porteur de rêves en train de compter les grenouilles vertes… celles qui sautent d’étoile en étoile pour jouer avec les enfants…
Des souvenirs s’installent, la nuit s’impriment, plus forts encore…. La vie laisse ses traces. Une petite fille et son grand-père sous la vouté étoilée s’inventaient des mondes mystérieux… »
C’était en 2015 en Aratasquie, les petites filles étaient de retour.
Mon histoire avec les grenouilles a commencé lorsque j’avais douze ans. Je vivais avec ma tante à la sortie du village, nous habitions la dernière maison. Tante Marie me réveillait à l’aube pour que je révise mes leçons. Elle me secouait tant que n’avais mis pied à terre. J’étais vaincu, aucune chance de m’en sortir, j’avais eu la mauvaise idée de lui demander de me réveiller tôt pour mémoriser une poésie. Depuis ce jour-là, tata en fit une affaire habituelle chaque jour de classe. Pour elle, qui n’avait pas dépassé la maternelle, l’école symbolisait la liberté de penser, la conquête du savoir.
Au printemps, lorsque le jour se levait plus tôt, je remontais jusqu’au virage de Cirana, là où le village disparait. Je partais avec mon livre préféré, le manuel de sciences naturelles que je parcourais au gré de ses images et de mes envies.
A flanc de colline, des filets d’onde sourdaient, formaient un petit point d’eau fraîche avant de filer sous la route pour se jeter dans la rivière en contrebas. C’est en observant la vie dans ces petites vasques d’eau vive, parmi les plantes aquatiques danseuses, silencieuses, de flamenco que je découvrais les œufs de batraciens. J’avais appris à distinguer ceux de grenouilles, pondus en amas, en masse, de ceux de crapauds, ordonnés en chapelets.
Ainsi naissait ma curiosité pour ce monde presque invisible qui s’anime discrètement à nos pieds.
Bien plus tard, à l’âge adulte, j’allais, me fiant au coassement ponctuel, sans doute un appel aux amours, à la découverte des rainettes cachées sous la fraîcheur d’une menthe poivrée. Juste au pied du bassin dont les pertes infimes irriguent perpétuellement les herbes sauvages.
En ces moments de canicule renouvelée, de sècheresse dévastatrice, je n’entends plus le chant des grenouilles le soir au clair de lune. Une seule mélodie nocturne vous manque et vous voilà dans la solitude, perdu dans la nuit sans voix.
Lorsque les soirs profonds ne chantent plus, le firmament étoilé devient ténèbres…
Aux oiseaux ou aux grenouilles je ne sais pas mais je suis aux anges à vous lire 🙂
En tous cas vous n’êtes pas aux kangourous ! 😉
Vous auriez déjà déguerpi à grands sauts.
Bonne soirée Al !