Abdou.

Il y a 43 ans exactement, je rentrais de Paris pour voir mon père une dernière fois.
Je suis arrivé trop tard.
Le soir à la veillée, Abdou était là.
Jusqu’à minuit c’était le silence complet, les villageois défilaient…
Juste après le fromage et le café nous n’étions plus que quelques-uns dont des personnes venues de villages voisins qui s’étaient attardées.
C’est l’heure où l’on commence à parler, à raconter des histoires.
Abdou était le plus volubile, il interpellait à la cantonade et mettait au défi de dire en corse quelques mots :
– Comu si dici « printemps, automne, huppe… » in corsu ? Et quelques expressions dont je ne me souviens plus.
Il racontait des histoires en corse parfaitement maitrisé.
Les gens qui somnolaient près de la cheminée, nous étions en décembre, se sont brusquement réveillés.
Visiblement, ils étaient fortement surpris d’entendre cet homme d’un autre continent parler notre langue bien mieux que quiconque.
Muets, mais attentifs à ses joyeuses interpellations, les visiteurs affichaient des visages étonnés et se regardaient presque interloqués.
Quelques années auparavant, Abdou était venu me voir pour que je le prenne en photo avec son épouse et ses enfants.
Il souhaitait en envoyer une à sa famille lointaine.
La dernière fois que je l’ai vu, je lui apprenais que je l’avais cité dans mon livre « Au cœur de mon village, mon village au cœur », il était très étonné.
Très ému aussi, il m’a embrassé et a déclaré :
– Tu sais, c’est très important pour moi et mes enfants, sogu di qui !
(Je suis d’ici !)
Et séance tenante m’a demandé d’aller chez le buraliste lui acheter un livre.
Dans la foulée, il ajouta :
– La photo que tu as prise, il y a très longtemps, est encore sur ma cheminée, c’est l’une de mes préférées.

Abdou était notre ami.
Un exemple d’intégration qui par son abord facile, toujours jovial, devenu villageois, a fait oublier qu’il venait d’ailleurs.
Toi le croyant, qu’on te conduise à travers ciel au père éternel.
Adiu Abdou u lianesu !

Photo en titre extraite du quotidien Nice Matin, à l’époque.

16 Comments

  1. Il est certain qu’il a trouvé en Corse plus d’humanité et plus de similitude dans la façon de vivre (respect aux vieux, attention aux enfants, aux faibles etc) avec son pays qu’il n’en n’aurait trouvé sur le continent.

  2. Bonjour Simon
    Le titre de ce texte m a interpele car ma mère me parlait très souvent de lui et elle me disait que c était une bonne personne,elle ne se trompais pas je vois .
    Bel hommage Simon comme vous avez l habitude de le faire avec cette manière particulière.
    Je vous souhaite un bon mois d août (on est mal barré) et bien des choses à Annie et à votre famille.

  3. Merci Hélène.
    Bon mois d’août également.
    Je vous contacterai par MP.

  4. Un très bel hommage, pour Abdou, ses amies -is et sa famille .
    Et merci Simon d’apporter à ce village une humanité sans frontières 🥰

  5. Voilà
    Tout est dit
    Il est vrai que Abdou est le village, comme l’était ma grand mère, elle qui accoucha tant de personnes. Je me souviens pour corroborer ce que tu dis, que mon père me racontait un jour qu’Abdou avait repris quelques villageois de chez nous sur une formule en Corse pour dire le sel. Peut-être une mauvaise traduction de chacun, un «italianissisme».
    Abdou va me manquer, je ne serai plus le petit O Hérisson comme il se plaisait à m’appeler. Riposa in pace.

  6. Toutes mes condoléances à sa famille. Des personnes authentiques, je me souviens qu’Abdou avait fait danser ma tata déjà âgée et qu’il était un bout en train…
    RIP

  7. Émue à la lecture de votre témoignage. Abdou échangeait souvent avec mon père, ce dernier venu lui aussi du continent africain où la culture de solidarité rejoignait celle de l’île. Abdou est dans nos coeurs, je pense à son épouse et ses enfants, un bel exemple d’humanisme. Mes condoléances attristées aux siens Danièle Maoudj

  8. Très triste pour cette famille et Mamou chez qui je me dois de m’arrêter a chaque fois que je voir ma grand mère.
    Toutes nos condoléances.

  9. Comme beaucoup de Lévianais,je suis triste aujourd’hui et je pense avec une grande émotion à sa femme et ses enfants.Son sourire et sa bonne humeur vont nous manquer.Quel bel exemple d’intégration !Merci Simon pour cet hommage tellement vrai.

  10. Bel hommage , il en valait la peine .
    Sa gentillesse, va manquer au village .
    Une pensée pour sa femme et ses enfants.
    Repose en paix Abdou .
    Nous verrons ton étoile 🌟 briller parmi tant d’autre.🙏🕯️

  11. « les enfants sans soucis,simu du livia, simu du livia,,, » Merci ho Simon pour ce témoignage du ciment de notre enfance. Mon père va nous manquer, mais son esprit révèle ce que Levie est vraiment.! Tâchons de toujours le penser possible. Merci

    1. « Un enfant sans soucis », votre père vous a conduits sur le chemin de « Sèmu di Livia et nous voici ! »
      Je l’aimais bien, nous l’aimions bien, il nous le rendait bien.
      Quoi de plus naturel, pour moi, que d’évoquer sa mémoire ?
      Merci Omar et soyez fiers de lui !

  12. Abdou a certainement été une belle personne vu les beaux témoignages que nous pouvons lire , qu’il repose en paix !

  13. Merci Simon pour ce très bel hommage .
    J’étais là quand Abdou est arrivé et j’ai été stupefait de la rapidité avec laquelle il à appris le Corse.
    Une belle personne et un exemple d’intégration. Comme quoi quand tout le monde y met du sien…

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