Oui, je l’avoue, j’avais été surpris !
Le temps était à la bruine, le matin.
Il crachinait mais ce n’était pas le froid que l’on avait annoncé. Je trouvais même qu’il faisait doux. Le jardin était enveloppé d’ouate fine, un voile très vaporeux lui donnait un air mystérieux d’automne en plein printemps. J’ai bien aimé l’hésitation saisonnière.
L’humidité jetait un peu d’éclat, comme une brillantine, sur le feuillage des pommes de terre très prometteuses cette année-là, je les avais déjà goûtées en primeurs.
Le potager est un vrai bonheur tant que sieur Lumbago reste discret et silencieux.
Voilà pour le décor

Les poules se gavaient d’herbe fraîche récoltée dans les environs.
Vous imaginez facilement que leur enclos était devenu lunaire à force de gratter le sol.
A part les orties qui prospéraient facilement et les giroflées curieusement épargnées, tout le reste filait dans le gosier après grattage.
Je suis arrivé tranquille, presque en catimini. Je n’ai rien dit, j’ai voulu leur faire la surprise.
A deux reprises, je suis descendu avec un gros paquet de compost qui grouillait de petits lombrics. Oh ! la la ! Il devait y en avoir plusieurs centaines qui gigotaient comme des anguilles.
J’ai balancé mon offrande d’un seul coup.
Complètement fous ces vers de terre, ils n’avaient pas compris qu’en s’agitant de la sorte, ils affoleraient les gélines. C’était la cavalcade désordonnée, elles ne savaient plus où jouer du marteau piqueur. Et ça courait dans tous les sens, en fuyant avec trois ou quatre lombrics, pendant et frétillant, de chaque côté du bec. Ça pédalait dans le tas pour mettre à jour tous les vermisseaux qui s’étaient enfouis dans le terreau humide pour se voiler la face. Quelle frénésie dans ces allées et venues, pour fuir ou devancer la concurrence !
Quelles égoïstes ces gélines, quelles gourmandes ! Tout pour bibi, rien pour les copines !
Au deuxième passage vers dix heures trente, elles m’attendaient. J’avais l’impression qu’elles étaient joyeuses, prêtes à me faire la fête. La Harco, la poule noire, taquinait sa voisine en lui donnant de petits coups d’épaule tout en me désignant du bec. J’étais surpris.
Quoi ? Moi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
La blanche souriait sous crête, c’était à peine visible, mais je sentais bien que quelque chose se tramait dans la basse-cour.
Lorsque j’ai sorti le petit sachet, on aurait dit qu’elles savaient. Elles ont commencé à sautiller et j’ai même compris, au caquètement inhabituel de l’une d’elle, qu’elle disait aux autres :
– Allez, on lui fait la fête ? On lui cotcotcodète une chanson ?
C’était à qui sauterait le plus haut, à qui battrait le mieux des ailes, à qui tournerait plus vite sur elle-même, bref, toutes montraient leur joie de me revoir de sitôt. Peut-être ont-elles un sixième sens ? Elles avaient compris que j’avais des friandises dans mon sachet.
La rousse ne tenait plus :
– Allez, montre ! Qu’est-ce que tu nous caches ?
Elle faisait la belle, sa star, sur la pointe des pieds comme une ballerine en pleine représentation.
– Flagorneuses ! Hou hou ! Flatteuses ces poulardes. Engraissez-les et voilà qu’elles jouent la comédie pour avoir toujours plus et être la première servie !

De la viande fraîche coupée en tous petits morceaux. Je venais de faire une daube pour midi avec du jarret de bœuf local, je n’ai rien trouvé d’autre. J’ai raclé les os à moelle pour détacher tous les morceaux inutilisables, il y en avait deux bonnes poignées.
Je ne vous dis pas la folie autour du poulailler !
Et ça dansait, et ça courait, et ça piquait, on aurait dit des enfants à la Saint Laurent se précipitant sur les pièces et les bonbons jetés à la volées. C’est la fête de Lévie, la saint Laurent ; ce matin c’était la fête au poulailler en Aratasquie.
Les petites filles n’allaient pas tarder à arriver, elles auront hâte d’aller voir leurs poulettes. Je crois que Neige et Friandise, leurs préférées, seront moins agitées car bien rassasiées. J’ai regardé le pondoir, il y avait déjà quatre œufs. J’imagine qu’Anna Livia et Francesca Maria seront impatientes d’aller voir. Je ferai semblant de ne pas savoir.
Il ne manquerait plus qu’elles se mettent à sauter aussi : « Missiau ! Missiau ! Allez on va aux poules. Allez s’il te plait ! On y va ? »
Ça va swinguer au poulailler !

Ah j’allais oublier. Vous voyez, on se laisse emporter par le récit et on oublie le meilleur.
Vous savez quoi ? Le bruant zizi était de la fête. Il s’était invité tout seul, sorti de nulle part. Il m’a regardé, un peu méfiant puis il m’a lancé :
– On est bien ici ! Je comprends tes poulettes. Lorsqu’il n’y a pas de coq à la basse-cour, elles s’en inventent un autre et je crois que c’est toi qu’elles ont choisi…



Voilà, c’est facile de s’amuser tout seul, un peu d’imagination, on se prend pour un gallinacée et tout va de soi… La vie est belle et je compte bien la faire chanter encore longtemps.
Quel dommage de partir un jour. Enfin, sauf si je suis devenu complètement gaga, alors, il sera grand temps de déguerpir.
Je vous laisserai quelques pages remplies de sourires… un petit bonheur paysan. 😉
Un vrai bonheur ce récit joyeux, ça donne la pêche pour la journée 🙂
🙂
Bonne journée Al.