Ce brasier qui couve…
Ceci est une fiction qui se joue dans un pays imaginaire. Malgré les annonces rassurantes des dirigeants plus rien n’avançait. Patrons et employés se regardaient en chiens de faïence, le CDD généralisé censé faciliter l’embauche produisait ses effets pervers. Les banques ne prêtaient plus à ces jeunes aux contrats incertains, les perspectives pour créer des foyers devenaient caduques… l’espoir étouffé laissait la place à une grande détresse… La cocotte-minute n’était plus aux normes…
Tout a commencé dans la capitale. Des échauffourées disséminées que l’on pensait éruptives un moment, comme une énième flambée intermittente. On prédisait le calme après la tempête.
Personne n’avait mesuré la gravité de ces mouvements qui prenaient de l’ampleur. Comme un effet boule de neige, les gens descendaient dans la rue non pour organiser des manifestations plus ou moins encadrées mais pour piller et casser. Des groupes sans lien entre eux se formaient spontanément, la mise à sac s’étendait. Les commerces étaient dévalisés avec une préférence pour ceux de luxe. Très rapidement, les bijouteries étaient vidées puis le mouvement se diffusait à tout ce qui ressemblait à de la vente. La vague s’amplifiait d’heure en heure comme si le courage ou plutôt la rage devenait contagieuse. Le débordement était généralisé. La haine et la violence étaient devenues la règle. Les dirigeants surpris puis vite débordés ont déserté leur fonction. Le pays était livré à lui-même gagné par la loi de la jungle.
Le phénomène s’étendait à tout le pays. La police et la gendarmerie ne servaient plus à rien, leurs fonctionnaires se débarrassaient de leur uniforme pour échapper au lynchage. L’armée éparpillée un peu partout dans le monde pour combattre d’autres fantômes perdait rapidement sa tête et n’avait plus aucune autorité. Tout ce qui était censé maintenir l’ordre s’évaporait dans la nature. C’était la désolation jusque dans les petits villages de campagne. Seuls les hameaux de montagne avaient échappé à la tornade mais commençaient à se recroqueviller. Les voisins devenaient des vandales potentiels, la méfiance omniprésente. L’humain semblait déréglé dans son système social. Même dans ces endroits reculés, on ne sortait plus. L’homme retrouvait un instinct primaire à l’individualisme exacerbé, la confidence comme la confiance avaient sombré brisant nets tous les liens d’une société.
Tout était à reconstruire dans ce désordre. Il n’y avait plus rien à rogner, les gens venus d’ailleurs étaient repartis vers d’autres horizons pour échapper au chaos. La tornade s’était affaiblie puis endormie, complètement dégonflée aux frontières du pays.
Les premiers effets frémirent dans les villages. Les jeunes attirés par le farniente ne se servaient plus de leurs portables devenus inutiles, les bars saccagés n’avaient plus de fonction. La télé, internet étaient coupés par la force des choses. Les loisirs et l’oisiveté n’avaient plus d’objet.
Les vieilles faucilles rouillées retrouvaient un peu de vie, puis les houes, les pioches, les bêches dont on avait oublié l’usage sortirent naturellement des caves et des baraques abandonnées. L’homme se souvenait qu’il était homme et qu’il vivait dans la nature. Progressivement, les anciens sentiers qui menaient aux jardins et aux vergers à la périphérie des villages, reprenaient leur fonction. Les chemins délaissés jusque-là ressemblaient à des avenues à tel point qu’on pouvait les fréquenter en costume sans risquer le moindre accroc. Les fontaines qui avaient perdu leur âme, qui restaient la bouche ouverte sans livrer la moindre goutte d’eau se remettaient à gargouiller. Les grenouilles coassaient dans la nuit comme au bon vieux temps dans les vasques et les bassins, le long des ruisselets d’eau perdue. On imaginait le têtard vaillant dans l’eau vive, prêt pour la métamorphose. Les jeunes rainettes chantaient guillerettes sans se méfier de la couleuvre tapie dans l’herbe fraîche. Les grillons, les cigales, les oiseaux, tout ce monde continuait à célébrer la symphonie de la nature.
Les propriétaires de terrains abandonnés avaient besoin d’aide et redécouvraient la synergie. Chaque âme se souvenait qu’elle pouvait subvenir à ses besoins en passant par les jardins au lieu de se rendre dans une agence Pôle-Emploi. L’instinct de survie toujours prompt à lutter pour garder sa place avait trouvé là un peu de calme et de douceur dans le vivre en collaboration et non dans la lutte dévastatrice…
Une tornade est passée sans laisser le temps de cogiter. Elle a cogné très fort comme si elle avait compris qu’il valait mieux faire table rase. L’homme est orgueilleux et n’est même plus conscient de ses errances, des ravages qu’il engendre à son endroit. Il n’y a plus rien, il faut tout reconstruire. Pour combien de temps ? Jusqu’à quel degré d’insouciance ? Jusqu’à quelle inconscience et quelle folie ?
L’homme est ainsi fait, il puise sans compter et s’épuise. Il court un temps vers l’insouciance et vole à sa propre destruction. Renaîtra-t-il sur ses ruines pour un éternel recommencement ?
La sagesse est une quête réservée à certains seulement… L’humanité s’arrangera toujours pour générer une nouvelle tornade. Ces tourbillons qui sévissent en permanence avec des forces diverses sous certaines latitudes. Les causes sont diverses et faciles à inventer.
Il parait que le Paradis est ailleurs, ici c’est champ de bataille…
Et puis l’espoir, la quiétude au cœur de l’hiver.
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