C’était en janvier dernier. La grippe sévissait dans les chaumières et pour une fois, je n’y avais pas échappé.
J’ai pris l’habitude de rendre visite à la basse-cour tous les après-midis, vers quinze heures.
Dès que j’apparais à la barrière du jardin, encore assez loin du poulailler, les poules grimpent sur le talus pour m’accueillir et m’attendent au pied du grillage. Généralement, j’arrive avec de l’herbe ou de la salade. Elles préfèrent les jours plus fastes, ces jours où je trimbale le seau noir de maçon. Elles savent qu’il y aura bon lombric, bien dodu et bien rouge. Quelques pelletées de compost encore humide et ce sont des centaines de vers de terre qui composeront le régal du jour. La vermée grouillante gagne rapidement le fond du seau pour se mettre à l’abri de la lumière.
Il suffit d’agiter le seau et les gélines s’affolent. A peine le terreau versé à mes pieds, elles se mettent à becqueter comme une machine à coudre piquant à un rythme effréné. Elles se donnent des coups de pic pour se repousser et si d’aventure, l’une veut rouspéter la bouche pleine, la voisine lui chipe sa friandise qui se trémousse encore aux commissures du bec.
Pour bien montrer qu’elles sont gélines des champs et non de batterie, elles grattent le sol d’un coup de patte gauche puis droite. Deux coups, frac ! frac ! en se dandinant légèrement. J’ai l’habitude de dire qu’elles pédalent.
Un geste inutile, juste pour la forme ou par habitude, allez savoir ? Un geste instinctif puisque que les annélides sont encore sur le sol. Elles piochent dans le tas et se gavent avec une avidité surprenante.
La journée était belle mais frisquette. C’était l’heure du goûter, elles m’attendaient, je présume. Sans être en grande forme, puisque je couvais quelque chose aussi, je ne pouvais me résoudre à leur poser un lapin. Je suis donc descendu au jardin avec ma salade. Grosse surprise, la Harco n’était pas dans l’enclos. Elle paradait en contre-bas, au pied du grand mur sur la route en terre battue qui mène à la maison. C’était la première fois que dame poulette s’évadait. Je dus faire le grand tour pour tenter de la ramener chez elle. Une inspection rapide des lieux ne faisait apparaitre aucune sortie possible. Peut-être, en volant du talus avait-t-elle franchi le grillage ? L’heure n’était plus aux supputations mais à la récupération.
Lorsque qu’elle m’a vu arriver à ses trousses, elle s’est dirigée vers les grands chênes verts. Je la regardais s’enfoncer vers le bas de la colline, grattant à droite, à gauche et piquant tout ce qui semblait comestible. On aurait dit, qu’elle connaissait bien les lieux et qu’elle n’avait aucune inquiétude. Je l’ai approchée dix, vingt fois. Rien à faire, je me suis retrouvé à terre à plusieurs reprises. En faisant sonner des graines dans un bidon, j’ai réussi à la faire entrer dans la niche qui abrite le compteur d’eau dans mur. J’ai déployé une couverture pour tenter de l’emprisonner… encore raté, elle a déjoué ma faena. Elle a filé vers le grillage qui entoure le jardin en essayant de passer à travers les mailles… Encore un plongeon raté, je me suis retrouvé une dizaine de mètres plus bas en roulé-boulé. Je commençais à avoir froid… Je l’ai traquée deux heures durant.
La nuit commençait à tomber. Je me suis resigné, las et vaincu.
En rentrant chez moi, penaud, j’étais triste de penser que je ne verrai plus ma noire au cou injecté de filets dorés et au dos qui renvoyait des éclats verts et bleus sous l’effet des rayons de soleil. Ce soir ou demain à la fraiche, goupil en aura fait son festin. J’imaginais un tapis de plumes, un sol jonché çà et là, de rectrices, de rémiges et de tectrices noires moirées au soleil levant…
J’ai franchi ma porte avec un dernier espoir. Peut-être, à la nuit bien tombée, ira-t-elle s’abriter dans la niche du mur ? Ce soir, je fermerai le poulailler plus tard. J’irai d’abord visiter le trou dans la muraille. Hélas, point de poule dans l’abri du compteur. Je suis remonté au poulailler. Au moment de faire basculer la petite porte, grande surprise ! Toutes les poules étaient perchées et bien sages. Comment a-t-elle fait pour regagner le bercail ? J’avais retrouvé le sourire, me grattant la tête, pensif, l’esprit encore embrouillé.
En repassant devant le grand chêne qui surplombe le chemin, j’ai réalisé que je venais de tomber dans un quiproquo monumental. L’autre Harco, donc pas la mienne, était perchée sur une branche basse…
J’avais couru pendant deux heures après la poule d’un voisin. Un voisin éloigné d’un bon kilomètre, le seul à posséder des poules et dont les volatiles vaquent à leur guise, sans frontières. Les deux Harco, sans doute de mèche, avaient décidé de me faire la plus mémorable des farces en ce début d’année frisquet.
Je venais d’essuyer la plus belle « gallinade » de ma vie, je ne suis pas près de l’oublier.
Fatigué mais soulagé, j’ai bien rigolé… Pas à gorge déployée, la grippe m’avait quelque peu tempéré.
*J’imagine qu’au moment de mon passage de 15 heures, la poule noire était en train de pondre ou de sommeiller sous le poulailler légèrement surélevé. Voyant son sosie sur la route, en contre-bas, je suis parti séance tenante comme un Tartarin à la conquête de la Harco du voisin.
A reblogué ceci sur Les choses de la vieet a ajouté:
C’était au temps où j’avais encore mes poules.
Voici une belle « gallinade » dont je me souviendrai le restant de mes jours.
Elle est bien bonne 😉 vos poules ont dû se moquer de vous autant qu’elles ont pu 🙂
La photo est top, quelle jolie bête!
Une poule hongroise à ce que j’ai pu lire à son sujet. Une bien jolie fille à vrai dire, et rentable avec ça ! 😀
Ah ?
Oui, bonne pondeuse, si j’ai bien compris 🙂