Il faudra bien qu’on se le redise…

Comment a-t-on pu laisser filer tous ces jardins que nos aïeux avaient si patiemment aménagés en terrasses autour des maisons ?
Le mien, je l’ai créé à coups de pioche, en quelques années dans un endroit totalement envahi par la bruyère, le ciste, les genêts et les ronces. Un espace pentu, anciennement maquis, aujourd’hui habité par les arbres fruitiers.
Les noyers, les cerisiers, les pruniers, les figuiers, le jujubier, le pommier, le kaki pomme, quelques pêchers adolescents et un abricotier. Puis, un peu partout des nombreux pieds de vigne.
Tous sont d’ici. Des bouts de rameaux aoûtés, plantés à l’automne tout comme mes figuiers issus d’un marcottage aérien et qui produisent abondamment.
J’ai même tenté un citronnier, le pauvre, il redoute le froid mais bon, il aura connu l’Aratasca, son soleil estival brûlant et ses fieffées colères éoliennes.
Quelques fruitiers, ceux achetés en pépinière, greffés, ont été brisés par le vent.
Lorsque Eole est en furie, il s’engouffre dans la vallée d’Archigna et vient secouer l’Aratasca sans vergogne, certaines tuiles s’en souviennent encore…

Mon jardin n’est pas des plus faciles à cultiver mais qu’est-ce qu’il est généreux. Je sais lorsqu’il est fatigué, alors je l’encourage en rapportant de la terre ramassée sous les chênes (u paltriciu dit-on par ici), du fumier aussi, je récolte les bouses de vaches errantes qui viennent nuitamment brouter les althéas.
Parfois, j’effectue un apport d’algues ou de coquilles calcaires venues de la mer.
Au début, il faisait la moue car cette odeur d’iode lui était inconnue. Il ne rechigne plus désormais, bien au contraire à l’automne pour lui c’est déjà Noël avec cet environnement qui sent l’huître et la langouste. Oh lala ! J’ai l’impression qu’il sourit en me promettant bonne récolte si le temps le veut bien.
Lui, semble décidé.
Lorsque le printemps est pluvieux, trop pluvieux, les impressions tristounettes sont toujours de mauvais augure. Patatras ! Jardin mouillu, jardin foutu.
L’année dernière c’était la sécheresse. Patatras ! Jardin bouillu, jardin fichu.

La conjoncture est morose, ça ne va pas bien, notre société est malade, les dirigeants pédalent dans la choucroute. Les Gilets jaunes vont ressortir des placards, les drones tuent de manière chirurgicale et même bouchère, ça tiraille et ça mitraille… on ne sait plus comment ça va, comment ça va aller…
Peut-être faudra-t-il en revenir aux fondamentaux mais le climat, également en dérangement, se montrera-t-il plus favorable cette année ? Qui le sait ? Il faut attendre pour voir et savoir.

Allons-nous vers des maux doux, des maux roses ou vers des maux durs ?

Pour retrouver mon sourire, j’ai visité d’anciennes photos.

Abondance au jardin.

J’avais l’impression que c’était hier. Il y avait de tout, abondance au courtil*, même les tables s’en donnaient à cœur joie.
Celle de la terrasse disait : « Encore, encore ! » Je suis sûr que si on lui avait donné la parole plus haute, elle aurait ameuté le quartier pour que les gens viennent la voir. Elle faisait sa coquette avec tout ce rouge orangé et ces touches de vert pour trancher.
Les aubergines blanches, on aurait dit des perles de boucles d’oreilles. Quant aux tomates, c’était, l’opéra, la folie. Elles chantaient les salades, le taboulé, la ratatouille, les farcis, les tartes tomateuses et les sauces pour l’hiver… Seigneur ! Le bonheur n’était plus dans le pré mais dans le jardin.
S’il me reste un peu d’équilibre, encore un peu d’endurance, tant que je pourrai bouger sans trainer les pieds, je ne laisserai point filer l’aventure au potager.

Souvenez-vous de l’été, beignets de courgettes râpées, avec ail et nepeta.

Puis un tian de légumes à passer au four. Je préfère le présenter ainsi plutôt que chaque ingrédient posé sur la tranche, c’est une variante. Dans le fond, de l’huile d’olive et beaucoup d’oignon jaune ou rouge en rondelles, puis une bonne couche d’aubergines pelées, du basilic déchiré, du sel, du poivre, encore un filet d’huile, de l’ail et du comté râpé. Une couche de poivrons et je finis avec beaucoup de tomates tranchées, elles vont juter à souhait pour humidifier les étages inférieurs. Encore du sel et du poivre et puis peut-être encore du fromage. C’est juste une idée, vous faites comme vous voulez. Pour la cuisson, je surveille, j’ignore le temps.

J’en connais un qui doit être heureux.
C’est notre ami Roger le balanin dont le jardin fait rêver.
Je lui adresse ici un clin d’œil amical, je ne doute pas un instant qu’une bonne partie de son bonheur est dans le potager…
Bonne Année potagère à tous les virtuoses de la binette et du sillon !

Un jour, j’avais écrit : Il est grand temps de créer l’expression « Heureux comme un Roger en son jardin ! »

« Cultiver son jardin », le vrai comme sa philosophie positive selon Candide de Voltaire.
Comment a-t-on pu à ce point laisser choir le double amour de la vie ?
Est-ce que ce monde est vraiment sérieux ?


*Courtil = Petit jardin attenant à une maison, souvent entouré de haies ou de barrières.

4 Comments

  1. Belle page qui fait hésiter entre larmes et sourire.
    Le jardin est généreux parce que le jardinier l’est aussi.
    Tout est dit ici et devrait faire la Une des journaux parce que l’essentiel y est.
    On a pris la mauvaise route, c’est sûr 🙁

    1. Un grand merci Al, vous m’êtes très agréable et j’avoue que vos commentaires m’encouragent beaucoup à poursuivre.
      Je suis certes sur un rythme de croisière… et vous le vent en poupe ! 😉
      Si vous rencontrez Eole, pourriez-vous lui demander d’épargner mon citronnier ?
      Il vous écoutera, j’en suis certain 🙂

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