Puisque vieillissant, je suis en phase de radotage…
En regardant dans le rétroviseur, je suis encore étonné par mon parcours, c’était comme aux Galeries Lafayette, il se passait toujours quelque chose dans ma vie. Que ce soit ma volonté ou non.
Souvenez-vous, mon ami Toussaint s’inquiétait pour me trouver du travail. Il épluchait les petites annonces, elles débouchèrent sur les savonnettes que je devais vendre en faisant du porte à porte.
Elles m’avaient lessivé.
Santu me sermonnait, à juste raison, en me rappelant que le travail ne viendra jamais me cueillir à demeure. Pourtant, il ne croyait pas si mal dire car à la faveur d’un petit évènement absolument incroyable, le travail est venu me chercher à la maison, chez lui, de surcroît.
Ce fut presque un tirage de langue, une sorte de grimace à son adresse…
J’avais repris une vie d’errance en décidant de m’éloigner un peu de mes amis. Je leur rendais visite de temps en temps, en espaçant de plus en plus alors qu’on se voyait tous les jours. Personne ne savait ce que je faisais durant mes longues absences.
C’est une histoire étonnante.
J’avais repris mon indépendance vivant un peu l’aventure. Cela faisait quelques mois que je n’avais revu Toussaint.
Une après-midi de hasard ou d’inspiration, je ne saurais quel terme choisir, je rendis visite à mon ami, très surpris de me voir débarquer sans prévenir.
Nous étions en grande conversation, évidemment il me sermonnait, assis dans des fauteuils, lorsqu’on frappa à la porte.
Le « toqueur » était un parfait inconnu.
– Je cherche Simon D., on m’a dit de venir chez vous.
– Simon ! Quelqu’un veut te voir !
Cet homme m’était totalement étranger et sans la moindre présentation me lança :
– On m’envoie vous chercher, vous avez rendez-vous demain à onze heures au Casino de Nice. Paf ! Au revoir.
La personne ne s’attarda pas, je n’avais rien sollicité et n’eus même pas l’à-propos de demander des explications. Bizarre !
Le mandaté, l’estafette qui devait m’apporter la bonne nouvelle avait accompli sa tâche à la perfection.
Il serait venu cent fois, il n’avait aucune chance de me trouver là. Ce fut le hasard total et je ne me suis point soucié de savoir quel ange gardien veillait sur moi tant l’apparition soudaine fut énigmatique.
Je ne connus le fond de cette affaire qu’un an plus tard.
Toussaint sauta sur l’occasion, et s’empressa de m’annoncer qu’il viendrait avec moi.
Nous étions au rendez-vous à l’heure exacte sans connaître la raison de ma « convocation ».
Une drôle d’affaire.
J’ignorais que j’allais être catapulté dans un monde inconnu parmi des inconnus.
Lorsque je fus invité à entrer dans le bureau, j’ai eu l’impression de me trouver devant le sosie d’Alfred Hitchcock, point de cinéma, nous n’étions pas sur un lieu de tournage.
Un instant, j’imaginai un rôle de figurant dans un film mais ce fut de très courte durée.
Sans aucune transition, sans me questionner, d’emblée la personne me déclara à peu près ceci :
– Il parait que vous cherchez du travail, je n’ai pas besoin de personnel mais je vous embauche comme aide-caviste au restaurant de l’hippodrome de Cagnes sur mer.
Vous commencez demain.
Avez-vous un moyen de transport ?
– Non aucun.
– Bon, je vous accompagnerai le matin vers dix heures et vous reviendrez sur Nice avec l’économe qui rentre vers quinze heures. C’est bon ? » …
Je n’ai pas eu le temps de réagir, ni la présence d’esprit de lui demander d’où il savait que je cherchais du travail. L’affaire paraissait bien ficelée, bouclée de longue date.
Le directeur du casino, propriétaire du restaurant du champ de courses m’offrait un travail aux horaires allégés presque libres. J’étais en surnombre, il se comportait avec moi quasiment en mécène, me payant à ne presque rien faire.
Il était aux petits soins pour moi sans que nous nous connûmes un jour passé.
J’en étais presque gêné devant tant de sollicitude et de protection.
Pourquoi se comportait-il ainsi avec moi ? Je n’en avais pas la moindre idée en méconnaissant le fil de cette histoire.
Devant une telle affaire rondement menée vous n’avez pas le choix, vous êtes happé, aspiré et puis c’est tout.
J’avais l’impression que des gens s’étaient mobilisés à mon insu, un refus de ma part eut été déplacé.
Vous imaginez qu’une telle liberté ne plaisait pas à tout le monde sur mon lieu de travail. La bienveillance du patron à mon égard sautait aux yeux. J’avais beau me montrer coopérant, docile, ça ne passait pas. Très vite on m’appela « le pistonné » et je fus quasiment mis en quarantaine par le personnel.
Le boss veillait et tapotant sa montre à l’approche des quinze heures, me signifiait qu’il était temps de partir.
Il ne se doutait pas de l’émotion que mon intrusion branquignolesque, quasiment parasitaire dans l’esprit des autres employés, provoquait dans l’équipe du restaurant. Ou alors, cela l’importait peu…
Le chef cuisinier semblait fortement agacé car il m’aurait bien utilisé autour des fourneaux, commis aux épluchages et lavages, alors que je déchargeais les camions de boissons et vivait le plus clair de mon temps au fond d’une cave juste pour passer, à travers une petite fenêtre, les bouteilles que les clients commandaient durant le déjeuner au restaurant.
Je glissais pas mal de « rosé Tavel » et de « champagne Roederer » par la petite lucarne, passage discret entre cave et salle de restaurant, vins les plus commandés, que je méconnais jusque-là.
Un jour, alors que le patron n’était pas sur place, le maître queux passablement courroucé, m’obligea à compléter son équipe pour le repas de la nocturne.
Lorsque le vrai chef arriva vers vingt heures et me vit encore là, il me demanda la raison de ma présence à cette heure-ci.
Informé, sans perdre de temps, il réunit tout le personnel dans la réserve puis me désignant du doigt, dit à la cantonade avec un regard circulaire pour parcourir son monde :
– Lui, il arrive quand il veut et repart quand il veut ! OK ? Quand je dis quelque chose, c’est comme si je pissais dans une contrebasse ! »
Ce fut le silence total. Je me savais définitivement condamné à la détestation… Curieusement, depuis ce soir-là, on me laissa la paix, on m’ignora royalement.
Après cette mise au point, le big boss me conduisit, chargé de victuailles qu’il avait extraites du frigo cagnois, jusqu’au pied de l’immeuble où habitait et m’hébergeait ma nouvelle compagne, future épouse. Elle logeait dans un studio confortable à un pas et demi de la Promenade des Anglais. Inquiète de ne me voir rentrer dans l’après-midi, elle imaginait une désertion. J’arrivais les bras chargés de bonnes choses pour faire la fête.
Pour montrer que sa colère était grande, le boss ne pissait pas dans un violon mais dans une contrebasse. Et s’il eut existé instrument de la famille des cordes pincées ou frottées plus volumineux, il l’aurait choisi, il ignorait qu’une harpe a des ouïes aussi, sans doute moins visibles pour pisser confortablement…
Lorsque je me suis intéressé à l’expression « pisser dans un violon », j’ai su qu’elle signifiait « faire des choses inefficaces, inutiles ou perdre son temps ». C’était bougrement bien senti avec le choix du volumineux instrument, l’occasion de rappeler que le chef d’orchestre, c’était lui.
Cet homme qui n’avait rien d’un tyran se rapprochait bien plus du mécène. Il souhaitait m’aider à financer un peu mes études sans trop m’en demander en retour pour ne pas m’épuiser à décharger des camions de bière, de champagne et vins de toutes sortes. Il voyait bien que je peinais à trimballer ces caisses dans les dédales des escaliers qui menaient à la cave. Gentiment, il me disait :
– Ce n’est pas un travail pour toi, pose cette caisse.
Il allait chercher quelqu’un d’autre, plus costaud que moi.
Tous les jours, il me demandait si j’avais un autre travail en vue, plus en rapport avec mes compétences et me laissait libre de partir dès que j’aurai trouvé. Il assurait juste le relais.
Il fut très content pour moi lorsque les PTT m’accueillirent dans leur centre de tri situé à la poste Thiers à deux pas de mon habitation. Dès lors, je pouvais me rendre au travail à pied vers quatre heures du matin.
Là encore, ce ne fut point un long fleuve tranquille, non pas de mon fait mais à cause de mon carnet militaire qui signalait une oreille défaillante. Vous imaginez l’ineptie dans un centre de tri où il vaut mieux se couper du monde pour garder totale vigilance…
L’administration ne l’entendit pas de cette oreille et me convia vers d’autres recherches puisque je ne pouvais être titularisé malgré mes cinq épreuves réussies haut la main, qui m’avaient valu deux jours de congé, attribués au candidat arrivé premier.
Réformé à l’armée en Allemagne, je le fus une deuxième fois dans le civil…
J’ai su, un an plus tard, que mon père avait parlé de ma condition dans un bar du village. Un de ses amis lui avait promis d’appeler son cousin pour qu’il s’occupe de moi afin de m’assurer le minimum vital.
Devenu SDF, ce jour-là, je me trouvais chez mon ami par le plus grand des hasards…
J’appelle cela « Les choses de la vie » sans y voir un signe du destin.
Ma seule adresse connue de mes parents était celle de Toussaint et tous les éléments ont convergé ce jour-là.
Des gens aimables s’étaient mobilisés pour voler à mon secours.
Rien de transcendant finalement, la solidarité humaine seulement.
Voilà pourquoi, « pisser dans un violon » a toujours une belle résonance dans ma tête.
L’homme était attachant, très humain, à la mentalité bien de chez nous et ne jouait pas du pipeau.
Pour rien au monde, il n’aurait manqué à la sollicitation de son cousin du village.
Il s’appelait Monsieur Scamaroni… je me souviendrai toujours de sa bonhomie et de sa silhouette débonnaire alors qu’il menait ses entreprises, casino et restaurant, avec une main de fer… dans un gant de velours.
C’était il y a très longtemps, pour moi c’était hier, c’est tout frais encore…
Selon l’humeur du moment, on pisse fortissimo dans une contrebasse, andante dans un violon et comme le suggère le martien, moderato dans un ukulélé…
La musique adoucit les mœurs et vous embellit un texte en le rendant plus mélodieux… me semble-t-il !
effectivement dans la famille nous n’avons pas dépassé le niveau du violon pour pisser, mais l’ouverture si je peux dire est intéressante ! Il y a là aussi toujours possibilité de faire mieux.
Beau parcours non maîtrisé mais digne d’être relaté en tous cas 🙂
Oui Gibu, beau parcours, je suis encore étonné de mes mille et une aventures.
Pour un personnage annoncé discret, c’est surprenant.
Merci, bonne soirée, ici, il vente énormément.
Belle histoire de solidarité, la générosité en Corse n’est pas une légende 🙂
C’est exactement ça et rien divulguer, en veillant particulièrement à la bonne marche des choses.. J’ai été très surpris, je n’ai rien oublié.
J’en ai une autre tout aussi remarquable, qui a donné une direction définitive à ma vie professionnelle, je la gardais pour le livre à venir mais je crois que je n’en dirai rien, c’est tellement particulier !