Ces descriptions montrent l’état initial de l’enfant au début de l’observation avant d’engager les aides diverses, psychomotrices, psychopédagogiques et/ou travail avec les familles ou des structures extérieures à l’école. Ces observations donnaient un aperçu des problèmes liés à l’environnement qui nécessitent une approche plus systémique que clinique.
D’après la médecine, le cas de Carlos relevait de « l’élevage » plus que d’une pathologie avérée. Ses parents portugais qui travaillaient beaucoup, quasiment du matin au soir, envisageaient de repartir assez rapidement et cherchaient à engranger au maximum. Sans doute pour ne pas trop culpabiliser, ils gavaient leur enfant qui se tenait tranquille… Les parents ont fini par se rendre à l’évidence…
Le coucou. (Michel 8 ans)
Le coucou ne construit pas de nid et comme chacun sait, il se contente de déposer ses œufs dans le nid des autres oiseaux souvent plus petits que lui. A l’éclosion des œufs, l’oisillon envahisseur n’hésite pas à défenestrer le reste de la nichée afin d’occuper toute la place. La mère adoptive commence alors un va et vient incessant pour gaver de friandises cet intrus difficile à rassasier.
Cette curiosité de la nature a ressurgi du fond de ma mémoire de campagnard lorsque, pour la première fois, je fus amené à rencontrer la maman de Michel.
Michel était un gros bébé, plus grand que les autres enfants de la classe bien qu’ils fussent du même âge. Il bougeait très peu et se contentait de boire mes paroles avec un sourire béat de satisfaction. Tout ce qu’il ingurgitait était avalé tout de go sans prendre le temps de savourer quoi que ce soit. Il était d’un naturel placide, toujours tranquille comme Baptiste et n’approchait la chose scolaire que superficiellement pour laisser son corps occuper l’espace, non par le mouvement mais par le volume. Un vrai coucou heureux quoi ! Il était si peu habitué à prendre une initiative que pour barrer un trait horizontal, il le repassait d’un trait horizontal. Puis, intrigué qu’il ne semblât pas barré, restait perplexe et interdit m’interrogeant du regard.
Lorsque je vis la maman de Michel pour la première fois, guère plus grande que lui et bien plus menue que son fils, je ne pus m’empêcher de penser à cette mère nourricière pleine d’attention pour son coucouneau. Elle le couvait du regard et, attendrie, elle me parlait de lui comme d’un œuf fragile, à manipuler avec précaution.
Je suis sûr que même hors de sa présence, les appels silencieux qui émanaient de Michel battaient dans la tête de sa maman comme un cœur dans la poitrine : coucou… coucou…coucou…
L’hippopotame. (Carlos 7 ans)
Carlos adorait passer quelques minutes dans mon enclos. Il y pénétrait à pas lourds et calculés comme s’il avait des chapes de plomb à la place des semelles, en plus de sa corpulence massive hors du commun. Sa placidité et sa nonchalance, également peu communes, accentuaient davantage sa ressemblance avec un « cheval des rivières » né en captivité dans un zoo.
Il venait donc dans mon resserré, brouter les lettres jusque dans ma main pour les mâchouiller quelques instants avant d’en baver les neuf dixièmes par les commissures de ses babines. Très maniable, très doux et parfois très lointain – l’appel de la rivière, sans doute – Carlos ne risquait pas de vous mordre les doigts. Son corps bien nourri le mettait en sommeil pour une bonne partie de l’après-midi. Ses masséters, pourtant puissants, ne parvenaient pas à actionner sa mâchoire inférieure qui reposait sur ses paluches. Ainsi, incapable d’arrondir le moindre « O », de siffler le moindre « S », de faire vibrer le moindre « V », notre hippopotame flottait dans une piscine d’eau tiède, légèrement balloté par mes sollicitations destinées à éviter l’endormissement total qu’un silence prolongé n’aurait pas manqué de provoquer. Sa gigantesque nonchalance donnait l’impression que rien ne pouvait lui arriver. Son centre de gravité se plaçait si bas, le vissant littéralement au sol, que même la tempête semblait bien incapable de lui arracher le moindre frissonnement… A moins qu’elle ne lui fracassât une tuile sur la tête… et encore, je crois bien qu’il n’aurait même pas daigné lever le petit doigt pour se gratter…
*Cheval de rivière = autre nom de l’hippopotame
*Masséters = muscles qui actionnent les mâchoires