Image en titre : La fourragère de mon père.
Il y a fort longtemps, nous étions en vacances et Aratasca était encore un endroit sauvage au milieu du maquis. Aucune construction aux alentours, nous avions pour seule compagnie, les étoiles, la lune et les chouettes.
Les grillons aussi.
La belette, le matin, farfouillait dans la tente dressée au milieu de la cour, pour les enfants. Une couleuvre démesurée paradait sur la muraille du jardin et des perdrix, que mon épouse prenait pour des poules égarées par ici, montaient de la vallée à aube finissante et redescendaient avant le crépuscule.
Nous étions dans un paradis difficile d’accès, ignoré du monde des humains.
Nous avons passé des soirées mémorables à la belle étoile avec l’impression d’être seuls sur terre et nous profitions largement de cette solitude en nous « requinclant » la vie avant de regagner la région parisienne.
Annie sortait au village faire les courses.
Je ne quittais jamais l’endroit béni des dieux, béni par mon esprit sain qui le célébrait au quotidien. Ce jour-là, des gens de la mairie l’avaient informée qu’une remise de fourragère aurait lieu en fin de journée, les villageois étaient sollicités pour inviter un militaire à diner chez eux.
La fourragère est une distinction remise à des soldats pour les renforcer dans leur corps militaire après une série d’épreuves passées avec succès. Il s’agit d’un cordon tressé que l’on porte sur l’épaule gauche, accroché à la veste de l’uniforme. C’est un moment apprécié par le jeune appelé car c’est l’aboutissement d’une épreuve sportive bien menée qui le consacre dans son statut de soldat reconnu. Une sorte de confirmation que le gaillard est solide et digne de figurer au bataillon.
Une chose m’avait frappé, on nous avait demandé d’inviter une personne par famille. Je m’étais rendu sur la place de l’église pour ma contribution. Les jeunes conscrits étaient alignés au repos, le menton bien haut, presque au garde à vous, en attendant leur hôte. Les gens passaient devant la file, le torse bombé comme si la circonstance les faisait capitaines passant leurs troupes en revue.: « Tiens ! Toi là, tu viens avec moi ! »
Même un antimilitariste aurait mimé l’allure martiale contre nature. C’est fou comme l’homme perd ses codes dès l’instant où on le monte en grade !
Cela m’avait un peu dérangé. Je ne suis pourtant pas une vierge effarouchée ou tombé de la dernière pluie, cette démarche me déplaisait fortement. Je suis resté à l’écart. Je me suis avancé lorsqu’il restait trois militaires. Je leur ai demandé s’ils se connaissaient et s’ils voulaient bien venir tous les trois chez moi. La réponse positive a fusé comme un soulagement.
Nous sommes donc partis en Aratasquie. J’avais déjà préparé le repas dont un rôti de veau nustrale qui fut fort apprécié.
La soirée se déroula plus que dans la bonne humeur car à la remise d’une telle distinction, le soldat se relâche jusqu’à oublier le service militaire. Les jeunes gars avaient fait honneur tant à l’apéro qu’au diner servi avec grand plaisir. Sans chichis, avec force et franches rigolades. J’avais sorti le grand jeu pour détendre l’atmosphère, faire en sorte qu’ils se croient en colonie de vacances plutôt qu’en mission commandée. C’était parfait si j’en jugeais par leurs vestes ouvertes et les cravates de traviole, c’était la débraille à faire fulminer le plus docile des sergents.
Par moments, je souriais à l’idée de mettre en déroute toute une armée par simple dérision, une armée vaincue par Ricard et Casanis !
On riait dans la nuit sereine, à la bonne étoile, les anecdotes allaient bon train. Chacun se livrait sans retenue et racontait l’histoire de son coin d’origine.
A l’approche de minuit, sentant venir l’heure de son tour de garde, l’un des militaires fit signe de lever le bivouac. Il était temps de rentrer.
Leur camp était basé dans les chênes entre le cimetière et l’école maternelle. Je lui fis remarquer que les enfants étaient en vacances, les morts dispatchés entre paradis, enfer et purgatoire, qu’il n’y avait que glands, déjà tombés de l’arbre, à garder.
Les trois lurons poussèrent la chansonnette jusqu’à deux heures du matin en m’adressant des tonitruants » Oui chef ! Chef ! »
Je n’eus point besoin de les mettre au repos, ils y étaient déjà..
J’ignore ce qu’il advint au planton d’avoir manqué à son devoir de surveillance…
Sans doute, je le lui souhaite vivement, se souvient-il encore d’une nuit d’août à la Zinella et raconte cette histoire de belle manière.
Nous avions largement dépassé la dose qui libère les contraintes et relâche les plus tendus d’entre-nous.
Pas bien ! Pas bien Simonu ! Mais loin, très loin tout ça, il y a prescription, si loin que point d’oubli, paradoxalement.
Il y a des choses que le temps ne sait pas effacer…
Nous étions en période de paix royale.
J’attends l’appel pour l’ultime service mais j’ignore quelle en est la destination.
Allez savoir dans quel endroit je vais m’envoler !
Garde à vous !
Repos ! En attendant le télégramme de l’affectation divine.
Il y a belle lurette que les petits bleus n’existent plus, tante Marie, qui doit être au paradis, en était une des dernières estafettes au village.
J’imagine qu’elle rit en m’entendant… Comme avant. Elle me savait facétieux, très facétieux…
Tamanti risati ! Ti n’invenni ? Ci campaiamu !
(Sacrées rigolades ! Tu t’en souviens ? Nous étions heureux !)
Belle histoire, les 3 délaissés par tout le monde ont certainement passé la meilleure soirée dans le coin 😉
Oui, j’en suis sûr aussi.
La nouvelle que vous savez est très bonne 😉