Le bras cassé.

Non non ! Inutile de prendre de mes nouvelles, je vais bien et mes membres fonctionnent normalement à part quelques articulations arthrosiques aux doigts. Que voulez-vous, on dit que c’est dû à l’âge et d’autres ajoutent « c’est la vieillerie ».
La vieille rit ? Cela m’étonnerait fort si elle souffre aussi de ses articulations !
Bon, bon, passons !

Être « un bras cassé » donc, viendrait d’un nom corse, si l’on se fie à la toile.
Un dénommé Brancassi qui avec toutes les déformations de langage serait devenu, j’imagine, « un brancasse » puis « un brancassé » et enfin, ultime interprétation plus facile à imaginer un « bras cassé ».

Cela peut se comprendre aisément, Brancassi était un personnage peu courageux qui menait une vie pépère sans jamais être tracassé par le travail, d’où son bras cassé dont il ne pouvait trop se servir par manque de volonté ou par paresse.

J’ai connu un bras cassé dans le genre, un bras cassé à la main leste.
On le disait bon à rien mais l’incapable était capable de force fourberies.
Il ne faisait rien de ses dix doigts et pourtant les assouplissait comme un magicien pour les rendre plus agiles afin de mieux réussir ses « abracadabras chapardesques », mieux que chapardeuses.

Il entretenait une famille, on ne se demandait comment puisque à cette époque les aides n’existaient pas. Il s’aidait tout seul, évitant les fourches caudines du « ciel t’aidera ».
Il allait à l’abattoir récolter les bas morceaux qui, aujourd’hui, sont devenus morceaux de choix.
Langue, ris de veau, cervelle, foie, rognons et tripes d’ovins ou de bovins constituaient l’essentiel carné du menu familial. Point de romsteak, point de côtes, que des abats.
Pour le végétal, il connaissait les jardins des autres et les saisons comme le prélèvement astucieux pour ne point éveiller la méfiance des jardiniers qui trimaient loin du potager en cours de semaine.
Bien avant la récolte des bintjes, ou de la BF15, il savait grattouiller la terre pour prélever un tubercule par ci, un autre par là, juste de quoi assurer les frites du midi ou accompagner un ragout. Il reconstituait le buttage quasiment à l’identique en prenant soin de ne laisser traces de doigts. Il embrouillait son monde.
Il agissait de la même manière pour chaque légume, quelques gousses de petits pois, quelques tomates encore vertes pour que le larcin soit moins visible. Il savait quel légume viser, par exemple, il ne touchait ni aux courgettes ni aux aubergines car jardinier suivait leur évolution.

Il opérait bien avant l’aube, connaissait le mode de vie de chacun et ne se faisait jamais prendre en flagrant délit, changeant de potager, évoluant souvent loin de chez lui. Seules les traces de ses chaussures le trahissaient car elles étaient déformées et leur arc si particulier en laissait l’estampille.
Je crois qu’il s’est fait choper une seule fois, il ne s’aventura plus dans ce jardin car on lui promit gros sel dans les fesses.
Cela peut paraitre invraisemblable et pourtant tout cela est vrai. Il n’avait que ça à faire, oisif, ne connaissant pas la fatigue, le matinal chapardeur déjouait la méfiance des gens.
Evidemment, il opéra ainsi par épisodes espacés lorsque le besoin se faisait sentir. Pour l’ordinaire, j’ignore comment il procédait.

On ne peut faire confiance à un bras cassé, c’est bien connu, mais il a une sacrée confiance en lui !

Un bras cassé fait montre, finalement, de belle assurance et de détachement tant qu’il n’est pas manchot !

Moralité :
Par les temps qui courent, être bras cassé par nécessité et non par infirmité serait presque monté au pinacle de la débrouillardise, voire félicité… les temps changent et les mérites aussi !
Il est vrai que la sensiblerie à largement dépassé le bon sens commun.

2 Comments

  1. Mine de rien votre bras cassé était malin et observateur et finalement tout le mal qu’il se donnait pour passer inaperçu constituait un vrai travail 😉

    1. Oui, c’est sous entendu mais le connaissant bien, c’était un personnage sans réflexion qui y allait à l’instinct plus qu’au calcul.
      Après, l’usage fait le bonhomme 🙂

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