La fuite nécessaire du temps n’interdit pas le rétroviseur.
Je ne vais pas entretenir l’énigme plus longtemps, je vous informe d’emblée qu’il s’agit de la scie égoïne et plus précisément de la scie arboricole à élaguer, qui explique mieux l’usage di u surracu. (Lire « sourracou »)
Lorsque j’étais enfant et que j’accompagnais mon grand-père au jardin pour tailler ses pieds vigne, il m’interpellait entre deux coups de cisailles :
– Passami u surracu !
Il s’attaquait à un sarment plus ancien qu’on ne pouvait traiter avec un sécateur.
U surracu était un outil au manche révolver. Un manche en bois, chargé de sueur, patiné par les années, lissé et sur-lissé par les multiples prises en main.
J’adorais ce nom « u surracu ». Il semblait parfaitement raconter l’objet qu’il désignait, un mot bavard, un mot parlant.
Lorsque une branche était morte et son bois sec, on entendait durant les allers et retours de la lame mordante, ra ra ra ra ra et à la fin, au moment de la chute, Cu ! (cou !).
En poussant à l’extrême, on pourrait même affirmer qu’en exposant plusieurs outils côte à côte et en demandant à quelqu’un qui ne connait pas l’objet :
– D’après toi, lequel est « u surracu ? », il désignerait instantanément le bon outil.
Ah ! U surracu !
Il attirait le regard par sa conception tout en unité entre son manche court, incurvé et la lame également cintrée en harmonie avec la poignée. Une lame bien entretenue, luisant d’huile d’olive afin de limiter l’oxydation en période de repos.
U surracu !
Un vocable rustique, qui roule les R en mode rural. Vous entendez ? ru ra, ru ra, ru ra, rural, oui c’est ça, parfaitement intégré au paysage campagnard.
Naguère les outils avaient la parole !
J’adorais le prendre en main, le regarder un instant puis mimer quelques mouvements de va et vient dans le vide. Une prise en main qui vous donnait envie de l’essayer aussitôt.
Sa forme était parfaite, il passait partout sans buter contre les branches supérieures. Il mordait le bois, c’était son seul péché, mais œuvrait pour la bonne cause, rendait l’arbre plus vigoureux afin qu’il porte fruits plus sains et plus juteux. Pour le prévenir, aussi, des maladies engendrées par le bois nécrosé.
J’avais retrouvé celui de mon « arci-missiau », mon bisaïeul, posé sur une masse granitique quasiment décomposée en tuf dans la cave familiale.
Bien plus que centenaire, il avait largement fait son temps. L’humidité l’avait vieilli.
Enrobé de rouille épaisse, les dents émoussées, quelques unes tombées, il ne mordait plus, il mâchouillait, faisait un peu de poussière. Trop usé, la mâchoire fatiguée, il ne sciait plus, il chiquait comme nos anciens.
Devenu objet de musée pour perpétuer le souvenir, fortement connoté du labeur de mes ascendants, il dormait dans un coin de la cave et semblait très las. Abandonné dans un endroit lugubre où de rares rayon de soleil éclairaient des toiles d’araignées.
Un jour, je l’ai perdu de vue.
J’ai dû, inconsciemment, l’ensevelir dans un autre endroit reculé de la cave pour qu’il repose éternellement, hors des regards.
J’imagine sa lame rongée par la rouille et son manche attaqué par la moisissure, finir en pourriture.
Il n’est plus que cadavre, sans doute.
Un squelette sans sépulture dans une tombe abandonnée.
U surracu fait désormais partie de l’ancien temps, son nom n’a plus cours.
Qui se souvient encore de lui ?
Je n’ai plus retrouvé la poésie de mon enfance en achetant ce nouvel outil. Il est froid, sans personnalité, il ressemble à tous les objets qui brillent de prétention sans le moindre sentiment à communiquer. Il me fait penser à un instrument d’autopsie. Il est certes efficace à la tâche mais il ne dit plus rien, il ne fait plus rêver, il scie et sa rengaine insipide n’inspire aucune émotion..
Un sentiment tout en plastique comme son manche…
Scie égoïne ou scie à élaguer, je ne t’appellerai plus jamais surracu !
Me voilà, désormais condamné à te désigner en français !
L’âme di u surracu s’est envolée, l’esprit des jardins et du labeur aux champs n’est plus ce qu’il était.
Au festival des vieux outils, comme après la grande guerre, on dirait des médailles exposées pour saluer les poilus qui ont laissé leur âme aux champs, aux jardins, dans les branlantes remises…
Voici le tableau ci-dessous :





Un p’tit air de déjà vu, non ? 😉
Mais très agréable à relire !
Oui, mais largement modifié.
Mon ancien blog vient de mourir il y a deux jours et j’ai récupéré certains textes.
Il y aura donc des revisites pour ne pas tout perdre.
Bonne journée Al. 🙂
j’utilise toujours les deux égoïnes un peu branlantes que beau papa m’a laissées….. et j’en ai une toute neuve en réserve au cas où…… bonne soirée Simonu
Voilà, nous sommes fidèles à nos vieux outils.
Bonne soirée Gibu ! 🙂