Cadeau !

Et mérité parait-il !

Vous n’allez pas me croire. C’était la première fois que cela m’arrivait, bien avant le dialogue entre les deux fleurs de la veille. Cela date du temps où j’avais encore des poules.

En débouchant près du poulailler, je me suis douté que quelque chose se tramait, mais quoi ?

Grise perlée.

Les gélines s’étaient rassemblées dans un coin de la basse-cour, la mine sérieuse presque grave. On aurait dit qu’elles complotaient à voix inaudible pour que je ne comprenne rien.
J’étais pressé, je n’ai pas trop relevé. Et puis, j’ai remarqué que la grise perlée, d’ordinaire si discrète et réservée, s’était fendue le bec d’un sourire inhabituel presque rigolarde et narquoise. Elle a baragouiné quelques remarques dans son langage gallinesque. Hum ! pas comme d’habitude. J’étais intrigué, j’avais l’impression qu’elle désignait Friandise, la rousse, en tournant sa tête vers elle à plusieurs reprises. J’ai essayé de deviner mais je n’ai rien trouvé de particulier, rien qui ne variait de l’ordinaire.

La Harco (noire), la Sussex, la rousse très bonne pondeuse.

Leur façon de me fixer semblait bizarre, tout de même. Soudain la plus noire des Harco se mit à chanter comme un coq en battant des ailes. La blanche, la Sussex pour les spécialistes des volatiles, tournoyait, faisait mine d’entrer dans le poulailler puis ressortait aussitôt. Je ne comprenais rien, je me suis même dit
– Mon pauvre, tu débloques. Tu te fais des idées, tu vas devenir paranoïaque.
Si tu crois que les poules te font des signes, il faudra aller voir un spécialiste de la sous-crête, oui un spécialiste du cogito, un psy des cervelles en danger. 

Voyant que je ne comprenais rien, la deuxième Harco se mit à cotcotdèquer très fort avec ses copines en me désignant du bout de son aile, la rémige pointée vers moi. Là, il n’y avait plus de doute, j’étais bien l’objet de leur conversation.
J’ai remarqué, car je commence à parloter un peu leur langage, qu’elle désignait Friandise, également. Nous étions visés tous les deux mais j’en ignorais la raison.
Et voilà ce que j’ai décrypté de leur conversation :
– C’est la plus petite de toutes mais c’est une sportive et surtout excellente pondeuse. C’est elle qui a réalisé l’exploit ! 

Quel exploit ? Elle était tout à ses becquetées désordonnées en picorant comme une malade la pâtée que je venais de leur servir. Finalement, j’eus une idée lumineuse et narcissique à la fois.

Le clan

Elles semblaient contentes de moi.
En papotant, elles disaient qu’elles avaient beaucoup de chance de se trouver sous mon figuier. Simonu fait bien la cuisine et ses restes sont gastronomiques. Il nous gâte, c’est le Bocuse des poulaillers, un vrai chef plumé. Ah ! Si vous m’aviez vu ! J’étais fier et très touché par ces remarques volaillères.
Je suis donc un bon gars de la campagne, me disais-je en mon fors intérieur, une poule bonne gratteuse et chercheuse de lombrics dodus, bien dodue elle même, ne se trompe pas sur ces choses-là.

Une sorte de frénésie semblait gagner mes poules, elles ne tenaient plus en place.
J’ai même eu l’impression que l’une d’elles me tendait le bout de son aile comme si elle voulait me prendre par la main… Elles avaient hâte que je sache et que je voie.

Je dois me faire des idées, pensai-je. Tu vieillis mon pauvre !

Au moment de quitter l’enclos, tout s’illumina.
Un cotcotcotcodèqueeeee très long et appuyé m’interpella. En langage de gélines cela signifie : « Ne file pas comme ça, va voir, va voir avant de partir ! »
Ce fut un déclic soudain, une sorte d’Euréka me frappa le frontal. Illico, je me suis dirigé vers le poulailler et là vous ne devinerez jamais…
En soulevant le toit du pondoir, j’ai découvert six œufs dans le nid. Elles ne sont que cinq, le sixième n’est pas tombé du ciel !
Friandise m’avait fait un cadeau et ce fut une grande surprise, un vrai jour de cocagne !
Noël avant l’heure !

Ça vous semble ridicule, extravagant ? Pas du tout, c’était bonne surprise !

J’imaginais que le lendemain serait moins généreux, il faut bien qu’elles se reposent car pondre tous les jours n’est pas une mince affaire, ça vous secoue une poule !

Si vous croyez que je suis un peu barjot, vous avez tort. C’est en conversant avec les poules que l’on comprend tout le bonheur de vivre à la campagne, en pleine liberté, très loin des embrouilles citadines. Très loin des grands discours autour du monde qui n’en finissent plus et vous flanquent le bourdon.
Le monde va mal, heureux sont ceux qui fréquentent la basse-cour…

Bonne journée et ne vous faites aucun souci pour moi ! Ma santé mentale est excellente !

Le bonheur est dans la poule.

8 Comments

  1. Ah Simonu, le bonheur est à vous lire !
    Quel est ce monde ou l’on se demande si l’on n’est pas fou quand on est simplement heureux ?

  2. de beaux oeufs comme ça valent bien une bonne recette de pâtisserie ! vous allez nous sortir ça du chapeau Simonu (ou plutôt du poulailler 🙂

    1. J’ai mis un bémol à la cuisine, j’invente toujours en me décidant au dernier moment mais cela ne justifie nullement une recette, c’est du bricolage…
      Bonne soirée Gibu 😉

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