L’hiver s’en est allé.
Le cimetière n’est pas bien loin.
Seuls quelques ronciers au meilleur de leur forme, le séparent du chemin qui mène à ma maison.
Depuis quelques jours, le vent, tantôt déchainé, tantôt modéré, balayait les tombes et malmenait les vieilles gerbes déjà bien lasses. On aurait dit qu’il cherchait à chiper quelques fleurs décolorées par le soleil et flagellées par la pluie battante sous la houlette des rafales que la tramontane leur inflige. Eole s’amusait, exprimait sa furie en faisant valser les vases vides, emportant très haut dans le ciel quelques fleurs artificielles posées sur une fosse pour saluer la mémoire d’un défunt.
Une imitation de dahlia aux pétales fuchsia, légèrement effilochés, a chu sur le bord du chemin en contrebas, sous un buisson bien à l’abri des souffles rageurs. Un cyclamen de Naples a poussé à ses côtés pour lui tenir compagnie. Il fait figure de lumignon en éclairant le petit coin secret de sa corolle épanouie.
A la nuit tombée, lorsque la lune semble courir avec les nuages et que le vent frissonne dans les châtaigniers tout proches, les petites fleurs chuchotent et se racontent des histoires.

Le cyclamen :
– Raconte-moi une histoire d’outre-tombe.
Le dahlia :
– Un jour, il y avait beaucoup de monde dans le cimetière, quelqu’un me tenait dans ses bras.
On m’a posé à côté d’une croix, je ne savais pas pourquoi.
Une vieille dame toute ridée, au visage buriné par la rudesse de sa vie, ensevelie au pied de la pierre tombale, m’a tout raconté. Elle me tenait conversation les nuits de grand froid lorsque les gens veillaient au coin du feu. Elle m’a un peu parlé de son histoire.
Elle travaillait aux champs, courait de la cave au grenier, de la cuisine au jardin.
Elle se souvenait de ses petits enfants qui la suivaient parmi les tomates du potager, qui piétinaient plantes et plantules sans faire attention à rien.
Un jour, le petit Gaston venu du continent pour ses vacances, a croqué dans un piment rouge. Il ne savait pas. Il courait dans tous les sens, sautillait sur place, la bouche grande ouverte, la ventilant avec sa main qu’il agitait comme un éventail. Elle riait en me racontant, je ne disais rien.
Un soir, il devait être plus de minuit, le ciel était noir et la lumière inexistante. La grand-mère m’a demandé de bien surveiller les allées et venues vers sa tombe pendant la journée.
– Si tu vois Gaston, c’est le seul qui est blond, tu me diras s’il a bien grandi, s’il sourit, il était plutôt inquiet. Et les autres, Maria, Luisina et Pasquali… il doit être grand gaillard Pasquali. Je suis sûre qu’il file encore vers Funtanedda où il aimait bien aller chercher l’eau fraîche avec moi…
Tu me diras ? Tu me diras ? Puis, elle s’est tue.
Soudain, un coup de vent rageur secoua les buissons environnants. Les fleurs firent silence. Le cyclamen torsada ses pétales en queue de cheval puis baissant sa corolle vers le dahlia murmura :
– Je crois qu’Eole est furieux, nous reprendrons notre conversation une autre nuit, je te raconterai la vie et les vivants…
Dahlia ne broncha pas, il ne dort jamais. Le vent chapardeur l’a posé là. Peut-être, un jour, l’enverra-t-il valser là-bas à côté d’une violette.

On était à peine entré dans le printemps, Eole est encore roi des zéphyrs à la caresse légère et des bourrasques qui décoiffent les toitures.
Il règne sur tous les vents, de la brise à la bise, du siroco à la tramontane, il préside l’air mouvant et s’en donne à cœur joie.
Il a promis de souffler jusqu’à la nuit des temps… On en parle sous les buissons…
Très joli, un petit bijou ce texte tendre et pudique.
Je me bats contre les broussailles et puis l’écriture m’apaise à la faveur d’une image que peu de gens auraient débusquée…
Après, je m’évade…
😉
Fort bien écrit 🙂
Merci Gys 🙂