C’est bien connu, c’est d’une banalité insigne, dès qu’une personne commet un délit, les médias s’empressent de prendre l’avis d’un parent, d’un ami ou d’un voisin pour en savoir plus sur le personnage.
Généralement, ils ne recueillent que louanges et surprise. On tombe des nues, la personne est polie, respectueuse, serviable, remplie de bonté.
Au pire, elle est réservée, taciturne, un peu secrète sans montrer le moindre travers inquiétant.
Voilà ! Ainsi conclut l’enquête micro trottoir.
Que cherche-t-on à prouver ? Rien du tout.
Cela ne prouve rien. Si ce n’est une réaction impulsive, celui qui cherche à nuire a tout intérêt à se montrer insipide, inodore, incolore, totalement transparent. C’est, à priori, le meilleur moyen de passer inaperçu, chacun sait que les ombres sont portées par le soleil riant.
Lorsque nous étions enfants, notre plus grand plaisir consistait à fumer à l’abri des regards dans le secret d’un châtaignier creux.
Nous étions des anges. Des fervents de l’office dominical, proches de l’autel et porteurs de burettes de vin de messe. On nous aurait donné le Bon Dieu sans confession. Nous étions immunisés par l’hostie consacrée. nous portions le paradis de l’innocence sur le visage.
Notre châtaignier était un vieil arbre attaqué par le feu qui l’avait rongé de l’intérieur sans trop abimer l’aubier périphérique et l’écorce qui paraissait intacte. Ses branches encore bien vivantes témoignaient de la solidité de ce végétal robuste et centenaire qui nous servait de tipi pour notre plus grande joie.
L’endroit était situé un peu à l’écart du village, il fallait s’y rendre intentionnellement, on n’y passait pas par hasard. C’était un lieu de rendez-vous. Nous ne dévoilions jamais nos intentions et nous profitions de la gentillesse extrême d’un personnage taciturne, habitué à ruminer sa condition, capable de garder les secrets… il achetait pour nous, les Cyrnéa, cigarettes à quarante-cinq centimes de francs le paquet.. Le buraliste connaissait parfaitement les habitudes de nos paternels, il nous aurait dénoncés sur le champ car ils ne fumaient que des gauloises sans filtre. Nous fournissions la poignée de centimes nécessaires à l’achat, notre insoupçonnable complice, nous rendait ce service sans aucune contrepartie avant de s’éclipser sur le champ. Un singulier personnage, nous n’avions pas d’autres familiarités avec lui qui se murait dans la solitude, fuyant toute communication.
François avait bien aménagé l’intérieur du tronc. Nous avions transporté quelques petits sacs de sable pour recouvrir le sol un peu charbonneux et mon ami, en fin bricoleur, avait confectionné une petite table et des petits bancs pour que notre salon soit plus confortable. En guise de cendriers, il avait cloué des boîtes de sardines contre la paroi interne. Le tronc creux faisait office de cheminée canalisant la fumée par le haut, vers l’extérieur.
On se souvient d’Annonciade qui passait souvent non loin de nous, sans remarquer notre présence lorsqu’elle cherchait ses chèvres. Nous l’écoutions appeler « Titine ! » et l’avions entendue une fois parler toute seule :
– Le châtaignier brûle encore, s’étonnait-elle, le regard tourné vers le sommet de l’arbre par où s’échappait la fumée.
Elle ne nous voyait pas car l’entrée que nous passions à plat ventre était très serrée.
Il m’arrivait parfois de rechigner un peu. Pour me décider, François déclarait que sa petite sœur Zaïra « avait faim de fraises » (A fami di i frauli).
Sur le petit chemin d’Archigna qui bordait la châtaigneraie, les fraises sauvages étaient abondantes au printemps. Lorsqu’elles étaient bien pourpres et bien sombres, qu’elles se détachaient dès qu’on les touchait, elles devenaient fondantes et laissaient un goût sublime entre langue et palais. Nous retardions la déglutition en promenant plus de sept fois les fraises écrasées sur le trajet qui mène au fond du gosier, cherchant à emprisonner cet arôme incomparable que la nature sait si bien préparer en prenant son temps.
Lorsque nous en ramassions une demi-poignée pour avoir plus de matière à savourer, bouche béante, nous la balancions sur le chemin des papilles en tapant les lèvres d’un coup sec avec la paume, puis, les yeux fermés, nous savourions longuement. Progressivement, le parfum presque musqué des fraises des bois, libéré d’une pression de langue contre le palais, gagnait les fosses nasales, s’imprimait définitivement dans les mémoires olfactive et gustative.
Cela nous semblait une éternité lorsque nous ralentissions le voyage qui mène au ravin de l’arrière gorge.
C’est sans doute durant ces moments secrets que se gravent les plus beaux souvenirs d’une enfance, enfance heureuse en ce qui me concerne.
Nous nous étions promis de retourner un jour visiter notre vieux châtaignier. Hélas, les ronces ont eu raison de notre bonne volonté…
C’est peut-être mieux ainsi, nous aurions eu du mal à passer la tête pour voir si les boîtes de sardines sont toujours à leur place. A défaut d’archéologue, un bucheron cherchera, un jour, à élucider ce mystère. Une histoire toute simple capable de stimuler le plus fertile des imaginaires.
Cette face cachée, certes remplie de peccadilles plus que de coups pendables, était ignorée de tous… On nous prenait pour des anges et nous étions heureux de vivre ces plaisirs d’un petit paradis. Il suffit d’entendre nos rires lorsque nous nous rencontrons et que nous évoquons cet épisode.
Je crois bien que l’enfance ne nous quitte jamais.
La face cachée des fraises sauvages est bien gravée sur les papilles…
Le petit plus du jour.
Le châtaignier ressemblait à celui en titre mais son entrée au ras du sol était très discrète.
On a tous un côté pas mûr, disons 😉 … Quelque soit notre âge !
il s’en sort bien le petit Mac Mahon, il aurait pu s’appeler Mac D’Eau 🙂
Joli coup, Gibu ! 🙂